La portée de l’ouvrage Folie et Déraison. Histoire de la folie à l’âge classique, de Michel Foucault.

par Denis Goloborodko

Les notions comme la « Déraison » et la « folie », leur contenu et le rapport qu’elles entretiennent entre elles, nous paraissent être les plus porteuses de sens dans l’Histoire de la folie. En premier lieu, il convient d’examiner la notion de « Déraison », puisque c’est surtout elle qui a besoin d’être éclaircie. La « folie » est une notion plus « fixée », dont la signification est formée par les références aux définitions cliniques des différentes déviances psychiques. La « Déraison » semble une notion moins définie. Elle a avant tout un sens négatif : la privation de la raison.

Dans l’Histoire de la folie la notion de « Déraison » a deux statuts différents.

  1. Statut archéologique. Dans ce statut, cette notion appartient à la conception foucaldienne de l’histoire comprise comme archéologie du savoir. On peut la considérer comme une innovation de Foucault en tant que théoricien de l’archive. La « Déraison » est comprise ici avant tout comme un sens dernier de la folie à l’âge classique[1] et comme un « fond »[2] sur lequel la « folie » surgit et se cristallise.
  2. Statut philosophique. C’est un statut de la notion de la Déraison dans le cadre de l’analytique philosophique de la raison. La « Déraison » ici, c’est l’Autre de la raison. Ce statut se manifeste dans la confrontation des termes « l’expérience de la folie » et « l’expérience de la raison ».

Dans l’Histoire de la folie, il existe plusieurs passages où ces deux statuts coexistent (parfois sur la même page, et compris dans la même démarche analytique), voire s’entrelacent. Souvent, on peut avoir l’impression que le sens « archéologique » de la Déraison est absorbé par le sens philosophique[3]. L’exemple le plus caractéristique et le plus essentiel est l’analyse de la folie dans laquelle sont présentes les références à l’«expérience». Dans le livre, on peut souvent rencontrer expressions comme l’«expérience classique de la folie» (c’est-à-dire, l’expérience de la folie à l’âge classique), l’«expérience de la Déraison» ou l’«expérience de la raison». De la sorte, sous beaucoup de rapports, le concept de l’expérience, s’il n’est pas central, traverse tout le livre. Ainsi la recherche de Foucault s’avère étroitement liée à la tradition du transcendantalisme philosophique : l’«expérience» sous-entend la nécessité du «sujet».

Ce lien, Foucault l’a compris assez clairement beaucoup plus tard après la sortie de l’Histoire de la folie, et il a soumis cette composante de son travail à une critique sévère. Dans l’Archéologie du savoir, il écrit :

«D’une façon générale, l’Histoire de la Folie faisait une part beaucoup trop considérable, et d’ailleurs bien énigmatique, à ce qui s’y trouvait désigné comme une «expérience», montrant par-là combien on demeurait proche d’admettre un sujet anonyme et général de l’histoire.»[4]

Pinel fait enlever les fers aux aliénés de Bicêtre, de Charles-Louis Mullet

En partie, la sévérité de cette critique est déterminée par le fait que dans le milieu intellectuel français de l’époque, la méthode de Foucault était considérée comme proche du structuralisme. L’un des objectifs de l’Archéologie du savoir consistait à dissiper ce malentendu. Des nombreuses pages de ce livre ont été écrites dans le but de la délimitation décisive d’avec le structuralisme[5]. Mais la sévérité de l’autocritique de Foucault est aussi déterminée par le fait que le transcendantalisme estompait et rendait équivoque son propre projet « archéologique » en s’infiltrant dans l’Histoire de la folie avec le concept de l’« expérience » et du fait qu’on trouve dans la notion de la « Déraison » un sens philosophico-transcendantal.

Le premier statut de la « Déraison » se manifeste dans l’Histoire de la folie par la distinction de la « Déraison » et de la « folie »[6]. Cela peut être expliqué par deux exemples.

Premier exemple : les moments où Foucault invoque l’expérience de la littérature et de l’art. Un rôle spécifique par rapport à l’« expérience de la déraison » est attribué à cette expérience dans l’Histoire de la folie. C’est Maurice Blanchot qui y prête une attention soutenue :

« À partir de quoi, dans l’espace qui s’établi entre la folie et déraison, nous avons à nous demander s’il est vrai que littérature et l’art pourraient accueillir ces expériences-limites et, ainsi, préparer, par-delà la culture, un rapport avec ce que rejette la culture : parole des confins, dehors d’écriture. »[7]

Ici une question peut se poser : quel est cet « espace entre »[8] et pourquoi accorde-t-on à la littérature et à l’art un rôle spécial par rapport à l’expérience de la Déraison ? On ne peut avoir de réponse à cette question que si on s’arrête au sens qui à la fois lie et distingue la Folie et la Déraison. L’« espace entre » dont parle Blanchot, c’est l’espace qui a été constitué à la base de l’expérience de la folie à l’« âge classique ». La folie, mélangée au départ avec les autres formes de « déviations »[9] (c’est-à-dire la « folie » qui n’existe pas encore en tant que folie), s’est séparée finalement d’elles et a obtenu le statut d’objet indépendant. C’est en cela que consiste un changement qui fait époque. Il s’est produit au cours des XVII-XVIIIème siècles. Un des aspects de cette transformation consiste en ce que la folie et la Déraison se trouvent situées à des « niveaux » d’existence principalement différents : alors que l’âge classique voit encore dans les autres formes de la Déraison un lien avec la liberté et les considère comme les phénomènes socialement déterminés, dans la folie il ne voit déjà rien d’autre qu’un processus exclusivement naturel (la déviation dans la nature d’un organisme humain).

C’est en cela que consistent, en particulier, l’objectivisme et le déterminisme propres à la psychiatrie de l’âge classique. La littérature et l’art ont échappé aux effets des procédures normatives et divisantes qui sont propres à la rationalité classique et qui ont frappé de plein fouet le champ social (sous la forme de pratiques d’internement et, pour reprendre le néologisme de Jürgen Habermas, de « clinification »[10]) et l’appareil scientifique (sous la forme du discours psychiatrique). En raison de leur étrangeté par rapport à l’activité normalisatrice de la raison classique, ils ont gardé un lien avec l’expérience spécifique de la liberté qui était propre à l’expérience de la Déraison avant que les mécanismes de l’âge classique ne produisent des changements. Il faut garder à l’esprit que c’est seulement la littérature et l’art qui ont gardé la capacité à exprimer la Déraison dans sa propre langue. Les autres formes d’expression sont marquées du sceau de l’objectivisme : ils peuvent dire beaucoup de choses sur la Déraison, mais dans ce discours, il n’y pas de place pour la voix de la folie. Ce discours représente, selon l’expression de Foucault, « le monologue de la raison sur la folie ».

Bien entendu, il ne s’agit pas de n’importe quelle littérature ni de n’importe quel art. Leurs manifestations significatives à cet égard sont marquées par les noms de Van Gogh et Goya dans la peinture, de Hölderlin, Nerval et Artaud dans la littérature.

Deuxième exemple : le rôle de la psychanalyse dans l’Histoire de la folie. C’est aussi Blanchot qui a prêté attention à la position spécifique de Foucault par rapport à la psychanalyse :

« […] après que la psychiatrie positiviste a imposé à l’aliénation mentale un statut d’objet qui l’aliène définitivement, survient Freud, et Freud essaie de « réaffronter folie et déraison et restitue la possibilité d’un dialogue ». »[11]

« Réaffronter » dans cette citation signifie en quelque sorte « mettre sur le même niveau », « approcher les marges ». Selon Foucault, la psychiatrie positiviste poursuit le processus qui a été déclenché par l’âge classique. L’analyse positiviste des phénomènes de la folie se situe dans le lit du déterminisme et de l’objectivisme dont les grandes lignes sont mises en place à l’âge classique. Freud, lui, effectue un certain tournant, en découvrant de nouveau dans certaines formes de la folie son lien avec le destin de la liberté et de la société, ce qui a été progressivement perdu dans l’expérience classique de la folie.

Il faut maintenant illustrer par des exemples concrets le rôle que joue la notion d’« expérience » dans l’Histoire de la folie. À cet effet, nous allons nous tourner vers les textes de Foucault qu’on pourrait appeler « les textes de l’autointerprétation ».

À partir des années 60 déjà, Foucault commence à accorder une grande attention à l’interprétation de son œuvre. Jusqu’à sa mort, c’est-à-dire au cours des 25 dernières années de son existence, il consacre de longues réflexions[12] à l’explication de son travail. On ne peut pas sous-estimer cette composante de l’œuvre de Foucault. Il ne faut pas croire que ces textes sont des phénomènes secondaires simplement parce qu’ils étaient inspirés par des journalistes ou par un public éloigné de la philosophie. Il faut penser plutôt le contraire : la récurrence constante, avec laquelle Foucault « revient » à ses différentes recherches et grâce à laquelle de pareils textes ont formé une couche autonome dans son héritage, permet de supposer que l’« autointerprétation » n’a pas été le résultat d’un intérêt fortuit des interlocuteurs. La plupart des livres de Foucault sont devenus l’objet de ce travail interprétatif. Et l’Histoire de la folie n’a pas fait exception.

Ainsi dans l’entretien publié sous le titre « Le souci de la vérité », paru en 1984, peu avant sa mort, il met en parallèle l’étude de la sexualité qui a pour objectif de savoir « comment on « se gouverne » soi-même » (en particulier, dans l’Antiquité), et l’étude de la folie qui devait répondre à la question : « comment on « gouvernait » les fous ». Et voici la remarque la plus importante :

« […] dans le cas de la folie, j’ai essayé de rejoindre à partir de là (à partir du « problème que la folie posait aux autres ») la constitution de l’expérience de soi-même comme fou, dans le cadre de la maladie mentale, de la pratique psychiatrique et de l’institution asilaire. »[13]

Il ajoute ensuite qu’il voit dans les recherches comparées « deux voies d’accès inverses vers une même question : comment se forme une « expérience » où sont liés le rapport à soi et le rapport aux autres. » L’analyse menée dans l’Histoire de la folie passe de la « folie », comme problème social, politique et épistémologique, à la « folie » comme une sorte d’« expérience ». Tandis que l’étude de la sexualité présente le mouvement inverse : de la conduite sexuelle comme problème des individus eux-mêmes, on passe à la formation des règlements, signifiants du point de vue social, qui concernent la sexualité dans le domaine de la morale.

Une autre importante indication sur le sens de la recherche ayant trait à la folie se trouve dans l’interview Pouvoir et savoir, qui appartient à la période moyenne de l’œuvre de Foucault :

« Dans l’Histoire de la folie, de quoi s’agissait-il ? Essayer de repérer quel est non pas tellement le type de connaissance que l’on a pu se former à propos de la maladie mentale, mais quel est le type de pouvoir que la raison n’a pas cessé de vouloir exercer sur la folie depuis le XVIIème siècle jusqu’à notre époque. »[14]

Les énoncés cités ci-dessus permettent de tirer des conclusions en ce qui concerne les thèses de l’Histoire de la folie et qui du point de vue de Foucault lui-même sont les thèses-clés pour comprendre le sens de cet ouvrage. Il semblerait qu’il faut mettre l’accent, tout d’abord, sur les notions comme celles de « gouvernement » et de « pouvoir », qui vont devenir des éléments cruciaux dans la seconde partie de l’œuvre de Foucault. Il faut en second lieu souligner l’opposition entre « avoir l’expérience de soi-même » et « représenter quelque chose (littéralement « poser un problème ») pour les autres ». Il ne faut pas perdre de vue que Foucault attache plus d’importance au type de pouvoir qu’au type de connaissance.

On peut comprendre les énoncés cités en se figurant la construction générale de l’Histoire de la folie de la façon suivante : d’un côté se trouvent « le pouvoir », « le gouvernement », « les représentations des autres », et de l’autre, une certaine « expérience de soi-même comme fou ». Entre ces deux sphères, il existe un certain lien dont l’éclaircissement est un des objectifs essentiels du livre. Cette construction est d’une part le noyau de la recherche sur la folie, d’autre part, le fil qui la relie avec les autres recherches.

Essayons d’illustrer et de déceler le sens des énoncés de l’Histoire de la folie citées ci-dessus à partir de quelques thèses concrètes proposées dans ce livre. Une idée qui traverse tout le livre comme un fil rouge est celle selon laquelle il existe à l’âge classique un déséquilibre entre deux sphères de l’existence de la folie : la sphère pratique et la sphère théorique[15]. À titre d’illustration, on peut citer le passage où, vers la fin du livre, les matériaux qui ont été analysés auparavant sont en quelque sorte résumés et synthétisés :

« Longtemps, la pensée médicale et la pratique de l’internement étaient restées étrangères l’une à l’autre. Tandis que se développait, selon ses lois propres, la connaissance des maladies de l’esprit, une expérience concrète de la folie prenait place dans le monde classique – expérience symbolisée et fixée par l’internement. »[16]

Au cours de presque un siècle et demi, personne ne se posait la question de savoir si l’homme qui encourt un internement est vraiment fou, pourquoi il est fou et ce que veut dire « être fou ». Et en même temps, l’absence d’une quelconque base théorique pour la pratique de l’internement n’engendrait pas de doutes sur sa portée. Ainsi, la supériorité de la composante pratique a été placée dans l’expérience classique de la folie dès le début. C’est pourquoi, pour saisir l’essence de cette expérience, il faut analyser en premier lieu comment a été créé « le champ de l’aliénation » dont l’incarnation concrète était « l’espace de l’internement »[17]. Il faut préciser ce que Foucault appelle « la pratique de l’internement », et quels sont les traits propres à cette pratique qui permettent à Foucault d’employer la notion d’« aliénation » pour décrire son essence anthropologique. Mais tout d’abord, il faut identifier ce que désigne « l’internement » d’un point de vue historique, c’est-à-dire délimiter les bornes chronologiques qui donneraient une consistance historique à l’analyse de Foucault.

La période de l’internement englobe l’époque qui débute au milieu du XVIIème siècle lorsque, en Europe, il s’est formé dans ses grands traits un système dans le cadre duquel les gens reconnus comme « asociaux » étaient envoyés en prison, dans des asiles etc. (l’Hôpital général à Paris, les maisons de force et de correction en France en général, en Angleterre et en Allemagne). La fin de cette période correspond aux réformes de Tuke et Pinel (pour Pinel réalisées entre 1780 et 1793) qui ont conduit à la dissolution du système social précédent et à l’apparition d’institutions spécialisées qui sont devenues le prototype des cliniques psychiatriques.

Voici les traits principaux de « l’internement » :

  1. Dans cette période, « la folie » n’existe pas encore. On peut citer comme exemple la liste des « éléments asociaux » dans laquelle on trouve « des fous »[18].
  2. « L’internement » est une ségrégation. Son sens consiste à éliminer de la société tous les phénomènes qui représentent un danger pour ses fondements. Les buts poursuivis par la pratique de l’internement ont tout d’abord un caractère correctionnel et non pas thérapeutique. « L’internement est destiné à corriger, et si tant est qu’on lui fixe un terme, ce n’est pas celui de la guérison, mais celui, plutôt, d’un sage repentir. »[19]
  3. C’est pourquoi il y a très peu de traits communs entre la maison de correction et la future institution psychiatrique. Peu des prétendus « hôpitaux » prévoyaient des mesures médicales destinées aux fous.

Philippe Pinel à la Salpêtrière, de Tony Robert-Fleury

Avec l’apparition des premières cliniques spécialisées pour les fous, la période de l’internement est censée se terminer. La création des institutions psychiatriques est considérée traditionnellement comme la naissance d’un rapport plus humain envers les fous. L’intention des « réformateurs » était effectivement de rendre leurs conditions d’existence plus favorables. Mais l’analyse de Foucault le conduit à une autre conclusion : l’aliénation non seulement ne disparaît pas, mais elle se « redouble ».

L’âge classique et son expérience spécifique de la folie proprement dite sont constitués par ces deux jalons. Entre eux se déroule une histoire, un processus qui ont abouti à l’émergence de l’image de la folie héritée par l’époque contemporaine où cette image est acceptée sans preuves et où « la folie » joue le rôle d’une matrice. La stabilité de ces phénomènes s’avère inébranlable : avec certaines modifications, ils existent jusqu’à nos jours et c’est seulement Freud et certaines nouvelles recherches dans le domaine de la neurophysiologie qui ont pu dans une certaine mesure les ébranler. Or, à l’âge classique lui-même, ce processus était habité par certaines contradictions et un dynamisme spécifique. Foucault les décrit d’une manière très détaillée en citant de nombreux exemples provenant de sources différentes. Il y a un moment qu’on peut désigner comme un moment-clé : c’est celui du « déplacement » de la folie de la sphère de la liberté humaine dans la sphère du déterminisme de la nature.

La pratique de l’internement des fous avec d’autres « éléments asociaux » indique une particularité essentielle de « l’expérience classique de la folie ». Cette particularité consiste dans la signification éthique qu’on a pendant longtemps attribuée à « la folie ». Le fait que les fous étaient internés ensemble avec « les débauchés » et « les libertins » témoigne que la folie a été comprise comme liée à la faute et au mauvais usage de la liberté ! Or, elle a été progressivement détachée des autres formes de la Déraison et a émergé en tant qu’objet particulier. Ce processus se double d’autre processus dans lequel a été éliminée de l’expérience de la folie tout ce qui la liait à la Déraison, et en premier lieu, la signification éthique. C’est la définition de la folie comme une maladie particulière qui est en train de se former, la maladie qui affecte l’âme, mais prend son origine dans le corps, c’est-à-dire comme un phénomène déterminé par des processus à l’intérieur de « l’organisme ». On décrit les causes de ces maladies et on établit leurs classifications. Et tout cela montre que « la folie » est progressivement fixée dans l’ordre de la nature, son appartenance à l’ordre de la liberté étant éliminé de son expérience. Ce processus aboutit à la transformation de la folie en objet de la surveillance clinique. C’est à ce moment que « l’expérience classique de la folie » commence à être dominée par la forme médicale de la vérité.

Voici le passage où Foucault fait le bilan de la première partie consacrée à l’expérience pratique de la folie incarnée par la pratique de l’internement :

« Nous avons pris maintenant l’habitude de percevoir dans la folie une chute vers un déterminisme où s’abolissent progressivement toutes les formes de la liberté ; elle ne nous montre plus que les régularités naturelles d’un déterminisme, avec l’enchaînement de ses causes, et le mouvement discursif de ses formes ; car la folie ne menace l’homme moderne que de ce retour au monde morne des bêtes et des choses, à leur liberté entravée. Ce n’est pas sur cet horizon de nature que le XVIIème et le XVIIIème siècle reconnaissent la folie, mais sur un fond de déraison ; elle ne dévoile pas un mécanisme, elle révèle plutôt une liberté qui fait rage dans les formes monstrueuses de l’animalité. »[20]

La vérité médicale n’a pu s’établir qu’après que cette expérience dans laquelle « la folie » faisait partie d’un monde plus global de la Déraison, a été totalement oubliée. C’est pourquoi il est impossible de trouver dans l’expérience médicale et clinique de la folie quelques traces de l’expérience qui la précède. La clinique est une forme fermée où aucune autre vérité qui aurait témoigné son caractère conventionnel ne peut s’infiltrer. Il n’y a rien en elle qui révèle qu’elle doive son origine à l’exclusion et au refoulement d’un certain contenu ni même à la contrainte qui, au fil de siècles, s’est exercée sur les autres types de l’expérience.

Il faut revenir maintenant à la question de savoir pourquoi, du point de vue de Foucault, on ne peut pas affirmer qu’avec la naissance des cliniques spécialisées l’aliénation, qui constituait une base anthropologique de l’expérience de la folie à la période de l’internement, est abolie. C’est qu’après avoir analysé le dynamisme du changement du rapport à la folie (de sa perception sur le fond commun de la Déraison à sa transformation en objet isolé), il pose une conclusion univoque : l’aliénation ne disparaît pas, elle devient au contraire encore plus globale. La clinique, c’est une forme plus sophistiquée de l’aliénation. Elle la rend totale : ici la vérité de la folie non seulement est séparée de la vérité du reste du monde, mais est scindée en soi. Dans la structure de l’internement, « le fou » était aliéné de la société, mais il n’était pas aliéné de lui-même. C’est parce qu’une certaine responsabilité éthique lui a été conférée, qu’il a été par-là reconnu implicitement comme « créateur » et possesseur de sa propre folie, comme porteur de sa vérité. Dans la structure de la clinique, il est soumis à une double aliénation : il est non seulement isolé de la société, mais il est aliéné de lui-même. C’est parce qu’on ne perçoit plus « la folie » sur le fond de la liberté, mais à partir du déterminisme naturel, que « le fou » n’est pas considéré comme possesseur de sa propre vérité. Elle est transmise aux mains de l’Autre, symbolisé par la figure du médecin. C’est ainsi que se termine encore un processus qui détermine l’essence anthropologique de l’âge classique : le changement du régime de la compréhension de « l’Autre ». Dans la période de l’internement, le sens de l’Autre se trouvait déjà dans deux sphères différentes.

  1. Là où « la folie » se formait dans le cadre des définitions juridiques et a été comprise comme une incapacité juridique. C’est là que la vérité clinique prend son origine : c’est parce que les définitions médicales ont été convoquées au service de la disqualification juridique de la folie que le fou a été mis sous tutelle par les autres.
  2. Là où « la folie » a été considérée comme une infraction à la norme. C’est dans cette dimension que « la folie » existait dans le cadre de la pratique de l’internement. Ici « le fou » lui-même est compris comme un Autre.

Le remplacement de la pratique de l’internement par le régime clinique (la pratique de « la clinification ») s’accompagne de la disparition presque totale de l’expérience de la folie comprise selon le deuxième sens qu’on lui a prêté ci-dessus. La folie comprise ainsi correspond à l’idée qu’être l’Autre signifiait marquer la limite de sa propre existence à l’intérieur de la « plénitude de la vérité ». Dans la structure de l’internement, « le fou » était assimilé au blasphémateur ou au prodigue : le premier manifestait un rapport autre (« mauvais ») à sa raison, alors que les seconds manifestaient un rapport autre à la vérité divine ou à la richesse. Cet Autre était méconnaissable, non-identifiable, c’est pour cela qu’il inspirait la peur ou l’angoisse. Et c’est pour cela qu’on l’internait : l’internement devait le rendre raisonnable. L’avènement de la période de « la clinification » signifie que c’est la conception médicale et juridique de la folie qui devient dominante. Or, cela veut dire que le sens de l’Autre a totalement changé : l’Autre a perdu tous les signes de la « subjectivité » libre bien qu’elle ne soit pas reconnue dans le cadre de la norme. À proprement parler, « le patient », ce n’est plus un Autre, c’est celui qui est livré au pouvoir du « Grand Autre » symbolisé par la figure du médecin.

Ainsi, on peut faire le bilan et établir une correspondance entre les concepts principaux de l’histoire des « pratiques » (ou des « formes du pouvoir », si on utilise le langage ultérieur de Foucault) et les concepts de l’histoire de « l’expérience de soi ». Dans la structure de l’internement, « la folie » est un mauvais usage de la liberté, et « le fou » est un Autre. Dans la structure clinique, la folie est une « maladie » et le fou est un « objet de la surveillance ». Dans un premier cas, le fou est aliéné de la société par le geste de l’expulsion au dehors de ses limites, mais il reste le porteur de sa propre vérité. Dans le deuxième cas, l’aliénation est redoublée : le fou reste isolé de la société et la vérité de sa folie est livrée à l’Autre.

L’analyse anthropologique des thèmes de « l’aliénation » et de « l’Autre » va de pair avec une recherche portant sur la signification de la notion de « l’exclusion ». Cette notion est introduite dans le cadre de l’analyse d’une autre notion plus générale de « l’âge », qui est donnée par la formulation même du thème : « l’histoire de la folie à l’âge classique ». Voici la citation qui représente cette perspective générale[21] :

« Entièrement exclue d’un côté, entièrement objectivée de l’autre, la folie n’est jamais manifestée pour elle-même, et dans un langage qui lui serait propre. […] ce profond silence qui donne à la folie de l’âge classique l’apparence du sommeil. »[22]

Cette citation présente les moments principaux qui, réunis, donnent tout son sens au problème de l’exclusion tel qu’il se pose dans le cadre de la question de la folie et de « l’âge classique ». Examinons-les un par un :

  1. L’exclusion. Le concept d’exclusion n’est pas seulement un concept-clé pour la seule l’Histoire de la folie, mais pour l’œuvre de Foucault dans son ensemble. Pour comprendre la place exacte qu’occupe cette notion dans son travail on peut partir de sa leçon inaugurale « L’ordre du discours». C’est là que nous trouvons la conceptualisation foucaldienne accomplie de l’exclusion ainsi que la détermination de ses différents types.
  2. L’Objectivation. Cette notion décrit deux processus proches mais non entièrement reconductibles l’un à l’autre : a) l’émergence de l’objet, la venue de l’objet à l’existence et b) la transformation en objet. La folie surgit comme un objet inédit, qui n’existait pas auparavant, à partir du moment où se forme un rapport à une expérience particulière (l’expérience de la Déraison) au sein duquel la folie est considérée comme un objet. En simplifiant quelque peu : la Déraison posée comme objet c’est l’émergence de la folie en tant qu’objet.
  3. Le silence. L’Histoire de la folie, selon Foucault lui-même est une « archéologie du silence ».

« Le langage de la psychiatrie, qui est monologue de la raison sur la folie n’a pu s’établir que sur un tel silence. Je n’ai pas voulu faire l’histoire de ce langage ; plutôt l’archéologie de ce silence. »[23]

Donc : exclusion — objectivation — silence. Ces trois moments sont étroitement reliés les uns aux autres. Cependant, le concept d’exclusion tient le rôle principal pour ce qui est de l’analyse des concepts de raison et de Déraison des Temps Modernes, moment où apparaissent les notions de « ratio » et « folie ». Et ce sont de pareils changements qui donnent à l’époque — en l’occurrence à l’âge classique — son sens philosophique.

Qu’est-ce ici que cet âge ? Comment prend-il forme, en quoi fait-il exception et quel est son caractère propre — tous ces éléments qui font que l’on peut parler de lui comme d’une coupe temporelle à part entière ? On peut formuler la réponse à cette question de la manière suivante : il appartient à l’essence d’un âge d’instaurer des règles particulières et de conduire un certain type d’actions qui mettent en avant certaines parties de l’expérience en éclipsant et en supplantant les autres. C’est ainsi que se forme la vérité qui fait la teneur et le sens de l’époque. L’âge classique, par exemple, se définit par une opération d’exclusion, mais, à l’intérieur de cette forme générale qui fait époque, on trouve la Déraison comme vérité de la folie.[24] Une telle interprétation s’oppose à la représentation de l’époque comme déploiement continu et linéaire de la vérité. Bien sûr, on peut admettre que le mouvement de l’âge classique dessine « la belle rectitude qui conduit la pensée rationnelle jusqu’à l’analyse de la folie comme maladie mentale. »[25] L’analyse « archéologique » montre cependant que cette rectitude, « il faut la réinterpréter dans une dimension verticale » [26]: l’expérience rationnelle de la folie surgit et devient dominante du fait et en proportion de la contrainte de plus en plus importante exercée sur l’expérience tragique de la Déraison, propre au Moyen-Âge et à la Renaissance. (Comme le remarque en marge Foucault, l’expérience tragique sera amenée à se manifester à nouveau dans certaines idées de Nietzsche ou de Freud, mais cela ne se fera qu’après que l’âge classique l’a définitivement chassé hors du domaine de la culture).

L’exercice de cette contrainte commence bien sûr longtemps avant l’âge classique. Le premier pas dans cette direction a été fait par la Renaissance qui a opposé l’expérience tragique de la Déraison à la conscience critique comme deux sphères non réductibles l’une à l’autre : la sphère visuelle et la sphère discursive. Dans la première, c’est « tout le silence des images »[27] représenté par la peinture du XVème siècle (Bosch, Brueghel, Thierry Bouts, Dürer) qui découvre pour le regard « l’étrangeté familière du monde »[28]. Dans la deuxième, c’est « la réflexion morale »[29] (qu’on trouve dans les œuvres d’Érasme de Rotterdam) qui dévoile la Déraison comme la folie (« stultitia ») humaine qui « s’incline devant la sagesse »[30]. Le domaine où existe la Déraison en tant que telle, c’est ainsi « la conscience critique de l’homme ». À la veille de l’âge classique, à l’époque du baroque, cette tendance devient encore plus prononcée : la Déraison figure déjà dans le cadre du thème du trompe-l’œil et elle est définie comme une illusion.

Le portement de croix de_Jérôme BoschMais c’est justement à l’âge classique que nous nous trouvons confrontés à un paysage totalement inédit : la Déraison ne se montre nulle part et on ne peut quasiment plus l’observer. Contrairement à la Renaissance qui connaissait encore l’expérience « d’une Raison déraisonnable et d’une raisonnable Déraison », l’âge classique met en place un partage, une partition et pose des limites. Dorénavant, aucune communication, aucun échange ne sera possible entre la raison et la Déraison. Le but de l’opération est d’atteindre une forme pure de la raison dont on aurait exclu tout ce qui, des siècles durant (du Moyen-Âge à la Renaissance), l’avait cantonné à n’être qu’une partie de l’expérience en général. Le partage, la partition est l’œuvre de la raison elle-même en quête de l’autonomie absolue. Afin de l’atteindre elle doit se débarrasser de tout ce qui n’était pas elle mais sans quoi toutefois elle n’était que la moitié de la vérité. Ce double de la raison fut justement, des siècles durant, la Déraison. Ensemble, ils formaient la configuration unifiée de la vérité. Dorénavant la raison déterminera seule sa forme propre. On peut dire que la raison elle-même se transforme mais il faut ajouter que la configuration de la vérité change également : là où elle surgissait d’un processus d’échange entre deux sphères différentes de l’expérience, une seule sphère englobe maintenant tous les phénomènes possibles. La raison devient la forme unique de la vérité. Tout ce qui est de l’ordre de la Déraison est relégué au dehors d’elle. Se produit « un étrange coup de force »[31] qui aboutit à la prise du pouvoir par la ratio, c’est-à-dire la raison dans sa forme pure. Un des aspects de ce coup de force est le changement de configuration de la vérité. Un second aspect est la disparition de la Déraison. Mais la Déraison ne se « dissout » pas purement et simplement, comme s’il ne restait plus rien de confus, de trouble et d’angoissant dans le monde. La disparition de la Déraison équivaut à l’effacement des anciens contours de la forme par laquelle elle participait au processus de formation de la vérité. Mais une forme nouvelle apparaît et un nouveau concept surgit. Grâce à lui, l’ensemble de l’expérience se rapportant à la Déraison est englobé dans une forme qui répond aux exigences du nouveau processus de formation de la vérité — aux exigences fixées par la ratio. Ce concept est « la folie ». En ce sens, la disparition de la Déraison signifie que change de façon significative non seulement sa propre forme mais également la structure de formation de la vérité : avant, la Déraison était « sujet » de la vérité (un des deux « sujets » égaux en droit), désormais elle se transforme en un objet de jugement (la Déraison devient « folie »). La raison devient le seul sujet de la vérité.

On voit de la sorte que l’exclusion a le rôle d’un concept « générateur » dans la chaîne « exclusion — objectivation — silence ».

Première liaison : exclusion — objectivation. L’opération d’exclusion ouvre la possibilité de se rapporter à la Déraison comme à un objet ; c’est-à-dire, en d’autres termes, que, par cette opération, la « folie » est constituée comme telle (étant donné que la « Déraison » comme objet, c’est précisément la « folie »). Ce qui signifie en même temps que, du point de vue de sa genèse anthropologique, la « folie » équivaut à l’exclu.

Seconde liaison : objectivation — silence. Dans la mesure où la « folie » est objet, le silence devient son attribut. Étant donné que la « folie » n’est pas « sujet » (c’est la Déraison qui était sujet mais qui disparaît), le « discours » (la possibilité de participer à la formation de la vérité) ne peut être pris en compte comme un attribut possible pour elle.

Les idées de l’Histoire de la folie ont été développées dans certains travaux postérieurs de Foucault. Et de ce point de vue, c’est le cours Les Anormaux qui nous paraît particulièrement intéressant à plusieurs titres. Ici sont développées une conception « archéologique » de la raison et l’idée de l’exclusion comme l’instauration de la limite, et aussi l’idée même que la limite est conceptualisée d’une manière nouvelle. Comme on l’a vu, à propos de l’Histoire de la folie, on peut conclure que à partir du XVIIème siècle la raison classique (la ratio) qui cherche à acquérir son autonomie, instaure sa propre limite en séparant et en excluant tout ce qui ne correspond pas aux conditions déterminées par elle en tant que fondement de son existence. Cette dialectique de la raison et de son autre (la Déraison) constitue la base philosophique du livre. Les Anormaux hérite sous beaucoup de rapports de la problématique de l’Histoire de la folie, mais ce texte porte l’accent non pas sur la dialectique du Même et de l’Autre, mais sur la généalogie du Même. Ainsi Foucault dit à la fin du premier cours :

« Cette émergence du pouvoir de normalisation, la manière dont il s’est formé, la manière dont il s’est installé, sans qu’il prenne jamais appui sur une seule institution, mais par le jeu qu’il est arrivé à établir entre différentes institutions, a étendu sa souveraineté dans notre société – c’est cela que je voudrais étudier. »[32]

Cependant, ce cours peut être considéré non seulement sous l’angle de l’héritage, mais aussi sous l’angle de l’anticipation. Ainsi il touche déjà d’une certaine manière à la problématique qui sera centrale pour les autres fameux travaux de Foucault : Surveiller et punir (1975) et l’Histoire de la sexualité (1976 –1984). Les « lignes » que Foucault va développer séparément dans ses ouvrages les plus connus, sont entrelacées de telle sorte qu’elles forment un « nœud », pour ainsi dire, dans Les Anormaux. Et c’est le problème de l’exclusion qui constitue le point permettant de réunir ces différentes lignes. Si les ouvrages mentionnés ci-dessus examinent les types particuliers à la fois des formes de l’exclusion et des objets exclus (le rapport entre le crime, le criminel et la punition dans Surveiller et punir ; le rapport entre la folie, le fou et l’institution psychiatrique dans l’Histoire de la folie ; le rapport entre le désir perverti, le pervers et la famille bourgeoise dans l’Histoire de la sexualité), dans Les Anormaux Foucault se penche sur la définition de l’exclusion en tant que telle. Cette définition apparaît comme le résultat de l’investigation de la norme et du rapport qu’elle entretient avec ce qui se trouve au-delà d’elle. Avant de passer directement au thème central de cette recherche, il faut mentionner aussi les vecteurs qui y sont présents et qui s’avèrent être dominants dans l’œuvre de Foucault. Avant tout, c’est une analyse des moments de l’entrelacement entre « le discours » et « la pratique » et l’analyse des « technologies du pouvoir » et des « techniques de transformation des individus ».

Il faudrait répondre à cette question : qui sont au fond ces « anormaux » ? Avant tout, il faut remarquer que c’est la première apparition de cette figure dans la recherche de Foucault. Où trouve-t-il ce « personnage » en tant qu’existant actuellement, dans quel domaine se manifeste sa présence dans notre contemporanéité ? Ce domaine, c’est l’expertise médico-légale. Et après avoir présenté d’une manière si impressionnante cette image des « anormaux », Foucault pose implicitement la question suivante : comment se fait-il que le discours qui leur donne une existence et la perpétue (le discours qui est à la fois un « discours de vérité » et un discours qui « fait rire »[33], c’est-à-dire, un discours grotesque[34]) est si peu visible alors qu’il est devenu un élément capital de notre existence quotidienne ? Et cependant c’est un discours qui peut tuer. Pourquoi la théorie lui donne-t-elle alors si peu de place ? C’est parce que les « anormaux », ce sont en quelque sorte les absents. On ne partage pas d’espace commun avec eux. C’est pour cela qu’on se trouve devant la nécessité d’élaborer des techniques d’analyse supplémentaires pour déceler les pratiques par lesquelles l’Autre est produit. Nous sommes en deçà, et lui, il est au-delà. Et le partage se fait par l’intermédiaire de la norme qui est non seulement une limite qui met en place une partition, mais aussi un réseau, « un système de régularités » (de caractère théorique comme de caractère pratique, institutionnel, en un mot, « un réseau régulier de savoir et de pouvoir »). Et pour nous, qui sommes « en deçà », ce réseau n’est pas visible en tant que tel. Ce qui est visible, c’est ce qui est produit par lui : les « anormaux ». Et ils sont visibles dans la mesure où la distance qui nous sépare est absolue et infranchissable. Les Anormaux, c’est une recherche visant à l’élaboration de telles techniques d’analyse.

Dans une troisième Leçon, ainsi que dans le résumé du cours, Foucault propose une ébauche de la généalogie concrète, ou historique, de l’« anormal ». Il souligne trois éléments qui ont formé « le groupe des anormaux »[35] (il faut prendre en compte que, comme le remarque Foucault, sa « constitution n’a pas été exactement synchronique »[36]).

  1. « Le monstre humain». C’est la loi qui constitue « le cadre de référence » de cette notion. Or, c’est la loi au sens large : « ce qui définit le monstre est le fait qu’il est, dans son existence même et dans sa forme, non seulement violation des lois de la société, mais violation des lois de la nature »[37]. Deux choses le mettent automatiquement hors la loi et le renvoient « au-delà » : a) le monstre ne peut pas être un sujet de la loi, puisque la loi n’est pas capable parler de lui ni de prendre en compte son existence ; b) le monstre, c’est une « forme naturelle de la contre-nature »[38] et un modèle « de toutes les petites irrégularités possibles » (ainsi, l’expertise psychiatrique des XIXème-XXème siècles va chercher le grand monstre naturel derrière le petit voleur).
  2. « L’individu à corriger». Cette figure est plus tardive que « le monstre ». Elle « est le corrélatif moins des impératifs de la loi et des formes canoniques de la nature que des techniques de dressage avec leurs exigence propres. »[39]. La figure de « l’incorrigible » apparaît en même temps que les techniques disciplinaires en usage dans l’armée, l’école, l’atelier. L’incorrigible, c’est celui, pour qui ces techniques s’avèrent inefficaces et pour qui il faut donc recourir à des technologies supplémentaires. C’est ainsi que « se dessine un axe de la corrigible incorrigibilité, où on va retrouver précisément plus tard, au XIXème siècle, l’individu anormal. »[40]
  3. « L’enfant masturbateur». C’est l’ancêtre le plus tardif de l’anormal. Il apparaît à la fin du XVIIIème siècle dans le cadre de l’institution familiale. La portée de la figure du « masturbateur » pour la généalogie de l’anormal consiste dans le fait qu’à partir de cette époque la masturbation enfantine est reconnue comme un principe universel pour interpréter presque toutes les déviations pathologiques singulières.

Selon Foucault, ces trois figures restent distinctes et séparées jusqu’à la fin du XVIIIème et au début du XIXème siècle. Et une « technologie des individus anormaux, se formera lorsque aura été établi un réseau régulier de savoir et de pouvoir qui réunira, ou en tout cas investira, selon le même système de régularités, ces trois figures. »[41]

Le cours Les Anormaux représente une explication développée de cette « généalogie concrète » de l’anormal. Mais dans chaque cas, sur l’exemple de chacune de ces figures, Foucault découvre les traits généraux propres aux procédures par lesquelles chaque élément est établi dans son existence. On peut regrouper schématiquement ces traits en quelques qualités communes qui les caractérisent comme les qualités généalogiques des « anormaux ». On pourrait appeler la désignation de ces qualités « une généalogie générale » de l’anormal.

  1. Tous ces éléments, ces « ancêtres » de l’anormal, ne sont pas considérés comme les caractéristiques du sujet, ils sont exclus du processus de la subjectivation.
  2. Ils ne s’inscrivent entièrement dans aucune institution sociale existante, ni dans aucun discours ou pratique qui existent dans le cadre de ces institutions ; ils « brisent » en quelque sorte les limites de l’institutionnalisation en place.

Ainsi, Les Anormaux donne suite à l’analyse anthropologique qu’on trouve dans l’Histoire de la folie. C’est que la notion les « anormaux » recouvre différentes formes des objets disqualifiés (et non seulement aux « fous »). Comme s’il s’agissait d’une notion méta-disqualifiante qui doit déceler le fonctionnement de la norme en tant que telle ou, comme le dit Foucault, « du pouvoir de normalisation » dans son aspect général.

L’Histoire de la folie et ses idées ont eu grand écho. Beaucoup d’ouvrages lui ont été consacrés où elle était traitée soit isolément, soit dans le contexte de toute l’œuvre de Foucault. C’est à cet ouvrage que les critiques de la conception de l’archéologie du savoir (parmi lesquels figure Derrida) ont prêté une grande attention.

L’article « Cogito et histoire de la folie » que nous évoquerons dans le Chapitre 3, peut être considéré comme faisant partie des publications consacrées à Foucault et écrites par des philosophes dont les conceptions propres ont nourri la recherche philosophique. Parmi ces publications, il faut noter les travaux de philosophes dont l’influence sur la pensée mondiale est comparable à celle de Foucault. Ce sont, en premier lieu, les travaux de philosophes français, comme Michel Foucault tel que je l’imagine de Maurice Blanchot[42], Foucault de Gilles Deleuze[43], Oublier Foucault de Jean Baudrillard[44]. Ces ouvrages représentent une réception de l’archéologie du savoir dans la philosophie française contemporaine. À proprement parler, l’article de Derrida se trouve un peu à l’écart, parce qu’il date de la période où Foucault n’avait publié qu’une seule de ses recherches, et la conception de la « déconstruction » était seulement en train de se former. C’est pourquoi cet article n’est pas une réaction à l’archéologie du savoir en tant que telle, mais seulement une critique de certaines thèses de l’Histoire de la folie. Parmi les ouvrages mentionnés ci-dessus, le livre de Baudrillard est à beaucoup d’égards l’ouvrage le plus proche de l’article de Derrida. Les livres de Blanchot et de Deleuze sont fondamentalement différents.

Ce que fait Blanchot, ce n’est pas une critique, mais plutôt des « variations sur un thème de Foucault ». Il met l’accent sur l’enchaînement de différents motifs et concepts foucaldiens et sur leur développement que l’on constate en passant d’un livre à l’autre : « de l’étude des seules pratiques discursives » (L’archéologie du savoir) à « l’étude des pratiques sociales qui en constituent l’arrière-plan » (Surveiller et punir)[45], tandis que La Volonté de savoir est un livre « qui est dans le droit fil de « Surveiller et punir » »[46].

Deleuze vise un tout autre objectif. Il essaye de systématiser les notions foucaldiennes selon un modèle extérieur. En l’occurrence, c’est un modèle topologique. Deleuze impose à Foucault des opérations topologiques en réinterprétant sa conception de la subjectivité à la lumière de sa propre théorie du pli.

L’objectif de Baudrillard, c’est de réfuter Foucault. En s’appuyant sur l’opposition entre le réel et l’imaginaire et son concept du simulacre qui est basé sur cette opposition, Baudrillard réduit la conception du pouvoir chez Foucault à une position archaïque. Son reproche principal consiste à dire que l’archéologie du savoir ne prend pas en compte l’existence des mécanismes de simulation propres au pouvoir. Ainsi, il définit Foucault comme un dinosaure de la modernité, de l’âge classique, un otage de ces mêmes mécanismes qu’il est en train d’analyser et de dévoiler. C’est pourquoi il serait impuissant de comprendre les changements radicaux qui ont eu lieu à partir de la fin de l’âge classique. On pourrait comparer l’article de Derrida avec cet ouvrage de Baudrillard à partir de ce pathos avec lequel il fait la démonstration des contradictions inhérentes à la pensée de Foucault. Or, il nous semble que, parmi tous les travaux qui ont été consacrés à la critique de l’archéologie du savoir, la critique de Derrida ressemble en de nombreux points à celle de Jürgen Habermas.

Ces deux critiques qui ont des objectifs différents et qui reposent sur des conceptions différentes, s’inscrivent néanmoins d’une façon similaire dans le cadre de deux modèles selon lesquels on interprète très souvent l’Histoire de la folie.

  1. Le modèle romantique. Il repose sur la critique de la raison en tant que sens commun qui a évacué son Autre (la Déraison), et sur l’invocation de l’expérience de l’art comme un domaine où la folie peut exprimer sa propre vérité dans sa propre langue.
  2. Le modèle antipsychiatrique. Il se fonde sur le concept du « Grand Renfermement » qui a été introduit par Foucault pour décrire la somme des pratiques s’appliquant à la folie[47].

Dulle Griet, de Pieter BruegelDans son ouvrage intitulé Le discours philosophique de la modernité[48] qui est basé sur une série de conférences, Habermas a consacré deux conférences (« Les sciences humaines démasquées par la critique de la raison : Foucault »[49] et « Apories d’une théorie du pouvoir »[50]) à la conception de Foucault. L’analyse de l’Histoire de la folie n’occupe que 12 pages dans la conférence « Les sciences humaines démasquées… »[51]. On pourrait penser qu’il est abusif de considérer cet aparté comme modèle d’une certaine stratégie interprétative. Nous montrerons pourtant qu’une certaine tendance stratégique est bien propre à cet aparté et à quel point l’analyse de Habermas s’inscrit organiquement dans le cadre des modèles mentionnés ci-dessus, en isolant certaines thèses de l’Histoire de la folie et en les organisant dans un certain ordre.

Voici les thèses que Habermas identifie comme étant les thèses-clés pour comprendre l’Histoire de la folie :

  1. a) La première thèse fondamentale qui constitue la base de l’interprétation de Habermas est la suivante : l’Histoire de la folie est « une histoire des limites […] par lesquel(le)s une culture rejette quelque chose qui sera pour elle l’Extérieur. »[52]

L’identification du terme de « limite » comme terme-clé conduit Habermas à avancer une série de propositions qui inscrivent l’Histoire de la folie dans le cadre d’un modèle romantique d’interprétation. Ainsi, Habermas suppose que Foucault « range la folie dans les expériences de la limite dans lesquelles le logos occidental s’appréhende, d’une manière au plus haut point ambivalente, face à un hétérogène. »[53] La folie serait importante pour Foucault, parce qu’elle permet de franchir des limites.

Après avoir défini de cette façon le sens de la folie, Habermas construit une sorte de généalogie du projet de Foucault :

« […] le contact et l’immersion dans le monde oriental (Schopenhauer), la redécouverte du tragique ou, d’une manière générale, de l’archaïque (Nietzsche), l’avancée dans la sphère des rêves (Freud) et de l’interdit archaïque (Bataille), et aussi de l’exotisme nourri de récits anthropologiques. »[54]

  1. b) La deuxième thèse fondamentale de Habermas est formulée de la manière suivante :

« […] Foucault conjecture derrière le phénomène engendré par la psychiatrie de la maladie mentale et, d’une manière générale, derrière les différents masques de la folie, une figure de l’authenticité […]. »[55]

Cette thèse détermine la place de l’interprétation de Habermas dans le cadre du modèle antipsychiatrique.

Conformément à cette thèse, selon Habermas, il faut considérer que le motif-clé de l’Histoire de la folie est la critique spécifique de la raison, le projet herméneutique particulier qui doit « déchiffrer, dans le dit, le non-dit » et dont l’objectif est de

« […] parvenir, dans l’histoire du développement de la raison instrumentale, au lieu de l’usurpation originaire et de la séparation d’une raison monadiquement stable de la mimésis, et de cerner ce lieu, serait-ce par l’aporie. »[56]

Et c’est parce que l’Histoire de la folie apparaît ainsi étroitement liée, d’un côté, au projet herméneutique et, de l’autre, au projet romantique, que Habermas peut identifier un changement essentiel qui se produit dans la conception de Foucault dès l’apparition du livre Naissance de la clinique. À partir de cette période, Foucault, selon Habermas, abandonne la recherche de l’authentique (c’est-à-dire, le romantisme antipsychiatrique) au profit de la recherche des éléments fonctionnels du système, comme il abandonne l’analyse du contenu intérieur et de l’intention de l’énonciation (c’est-à-dire l’herméneutique) au profit de l’analyse de la différence entre les énonciations.

« Ce n’est plus désormais la folie elle-même qu’il cherche derrière le discours sur la folie, ce n’est plus le contact oculaire avec le corps – contact qui semblerait précéder tout discours – qu’il cherche à travers l’archéologie du regard médical. Il renonce, contrairement à Bataille, à accéder par l’évocation à l’exclu et au proscrit – il n’attend plus rien des éléments hétérogènes. »[57]

Nous reviendrons un peu plus tard sur l’interprétation de Derrida. Ici, il s’agit seulement faire remarquer les moments où apparaît la similitude entre l’interprétation de Habermas et celle de Derrida.

Derrida comprend le projet de Foucault comme une tentative pour démasquer la violence par rapport à la folie propre à l’âge classique et, en même temps, pour rétablir « la folie en tant que telle » dans ses droits. Le noyau de l’objection de Derrida est le suivant : si Foucault voit la particularité de l’âge classique dans l’instauration d’une formation discursive qui est la « folie » et s’il admet en même temps qu’une certaine expérience qui ne serait entièrement absorbée par aucune forme discursive (en particulier, par la forme du rationalisme classique) peut exister, on peut supposer qu’il admet l’existence de la folie « en tant que telle », hors de la formation discursive.

Dans le cadre de la conception de la critique de la métaphysique occidentale qui est centrale pour le livre L’écriture et la différence, cette prémisse paraît une hypothèse métaphysique qui apporte une contradiction profonde à la conception même de Foucault. D’où le reproche selon lequel Foucault parle au nom d’une sorte de folie authentique et cherche une position, une instance du discours, qui se trouverait hors du discours de l’âge classique. Et pour ce faire, il propose de se distancier de plus en plus du discours rationaliste et de s’adresser, par exemple, à l’expérience de l’hybris (υβρις) grecque ou à l’expérience de l’art représentée par l’œuvre de Van Gogh, de Nerval ou d’Artaud. En se fondant sur la proposition qu’on trouve dans l’Histoire de la folie selon laquelle « l’histoire de la folie », est une « archéologie du silence », ainsi que sur la thèse de Foucault selon laquelle le langage de la raison s’est établi sur le silence de la folie, Derrida voit dans la question ainsi posée un projet hégélien. Ce projet se trouve, selon lui, au fondement de la conception de « l’histoire de la folie » : dévoiler la base négative du positif et démontrer leur interdépendance.

On pourrait concevoir une réponse hypothétique de Foucault à cette interprétation de Derrida, si on analyse le projet de l’Histoire de la folie sous un autre angle que fournit, dans l’entretien « Le souci de la vérité » cité ci-dessus, la différence entre la folie-pour-les-autres (la « folie » comme formation discursive) et la folie-pour-soi (la folie comme expérience). Cette réponse serait la suivante : le négatif pour Foucault, ce n’est pas la « folie », c’est le silence lui-même. La négativité de la folie elle-même est un produit dérivé de son existence en tant que formation discursive.

La signification du négatif est attribuée à la folie au cours de certaines pratiques dont le sens ne consiste pas uniquement à enfermer les fous. Plus exactement, ce sens n’est pas présent d’une façon directe dans ces pratiques : par eux-mêmes, ils visent d’autres objectifs (les objectifs du « souci », du soin de la folie). Par conséquent, ils ne peuvent pas être appelés directement « répressifs ». Dire cela serait se tromper grandement quant à leur sens direct (pour soi), aussi que quant à leur sens indirect qui consiste dans leur caractère répressif. Or l’« archéologue » n’a pas d’autre moyen d’analyser une époque sauf à travers des ensembles des différentes définitions du « pour soi ».

Le pays de Cocagne, de Pieter BruegelPenser la folie comme du négatif, cela serait lui attribuer un certain sens. Si Foucault a pu laisser entendre quelque part qu’il pensait que la folie était le négatif lui-même, son projet correspondrait effectivement à la « dimension hégélienne » de la pensée. Le doute qu’éprouve Derrida (« peut-on savoir qu’est-ce que la folie en tant que telle ?! ») serait alors pertinent. En ce cas, il s’agirait, en effet, comme il le croit, de rendre au négatif le statut du participant de plein droit au processus historique compris comme l’histoire du sens[58]. Mais ni le point de départ, ni le projet, ni l’objet de la recherche « archéologique » ne peuvent être réduits à une telle interprétation. La folie comme le négatif (la folie renfermée[59]), n’est ni un signe, ni un sens, ni une signification. Les textes de l’« autointerprétation » nous suggèrent une autre réponse et une autre stratégie pour lire l’Histoire de la folie. On pourrait parler à ce propos d’une stratégie d’une logique du symptôme, ce qu’on appellera par la suite « symptomatologique ». Nous expliquerons plus loin en quoi elle consiste. Pour le moment, il faut souligner avec netteté les traits communs qui existent entre l’interprétation de Habermas et celle de Derrida.

1) Elles ne prennent pas en compte la différence entre la Déraison et la Folie. Derrida pas plus que Habermas ne thématisent ni n’analysent cette différence. Dans leurs analyses, il n’y a pas de place pour la recherche sur le sens de cette différence. Et par conséquent, il n’y a pas non plus de place pour la différence entre le niveau philosophico-transcendantal et le niveau archéologique du livre de Foucault.

De là vient qu’elles n’accordent pas d’importance au processus complexe du devenir de la folie en tant qu’objet particulier. Par conséquence, ils n’accordent pas non plus d’importance au rapport complexe, de différence et de corrélation, qui existent entre deux événements cruciaux de cette « histoire de la folie » : l’internement et la « clinification ». Habermas, par exemple, les identifie dans le cadre de la même procédure.

« Foucault analyse la formation de la clinique (« Klinifizierung », « clinification ») qui fait avant tout de la maladie mental un phénomène médical, comme un exemple de l’exclusion, de la proscription et de la marginalisation […]. »[60]

En proposant de considérer la « clinification » comme un exemple d’exclusion, l’analyse de Habermas manque le changement essentiel du rapport à la folie qui s’est produit grâce aux réformes de Tuke et Pinel : la « clinification » n’est pas un exemple, mais le résultat du processus de l’exclusion.

2) Ces lectures ne prennent pas en compte la différence des deux niveaux d’analyse qui coexistent dans l’Histoire de la folie, selon l’interprétation que Foucault en fera plus tard : de l’analyse de la « folie » comme « phénomène pour les autres » et de l’analyse de la « folie » comme « expérience de soi-même ». Tous les signes qui nous renvoient à la « recherche de l’authentique » correspondent au deuxième niveau, tandis que Habermas et Derrida les considèrent dans le cadre du premier. C’est au niveau du « phénomène pour les autres » que la « folie » est désignée comme l’« exclu ». Cela veut dire que lorsque Foucault parle du silence de la folie, il ne propose pas de définition qui puisse décrire l’essence de la folie en tant que telle. Il signale uniquement que la folie en tant que telle est absente dans le champ des énonciations sur la « folie » et que pour le « fou », il est impossible de produire l’énonciation autoréférentielle.

Tentons de réunir ce niveau d’analyse qui vise les discours sur la folie (c’est ce niveau d’analyse qu’on peut désigner comme « archéologie du silence ») et l’« autointerprétation » ultérieure de Foucault, qui vise la différence entre deux niveaux de l’« expérience ». La conclusion qu’on peut tirer de cette réunion désorganise profondément l’ordre de l’argumentation qui est propre à Habermas et à Derrida. Foucault ne cherchait pas simplement dans l’Histoire de la folie « la folie en tant que telle » ou l’« authentique » lui-même, mais il désignait une certaine organisation de l’expérience de « soi-même comme fou », une organisation qui était fondée sur des mécanismes bien définis de gouvernement. Même si Foucault avait eu l’intention de désigner par son livre la possibilité de découvrir une certaine vérité positive de la folie, cette découverte aurait dû passer par un travail lent et minutieux qui aurait changé l’organisation des pratiques s’appliquant à la folie (précisément des pratiques, et pas seulement de la théorie). Cette découverte n’aurait pas pu consister dans un certain franchissement spontané de la limite établie[61], dans une certaine « percée » (comme le croit Habermas). Et surtout, cette découverte n’aurait pas pu se limiter à un retour à la « racine commune » de la raison et de la folie (comme a pu le croire Derrida).

À la base des conclusions que Habermas et Derrida tirent de leurs analyses à propos de l’Histoire de la folie se trouve une approche commune qui consiste en ce qu’ils analysent les notions de « folie » et de « Déraison » uniquement au niveau philosophico-transcendantal, tout en ignorant la dimension proprement « archéologique » de ce livre. Dans les analyses propres à Derrida et à Habermas, la « folie » et la « Déraison » sont considérées implicitement comme identiques et comprises sous le signe commun du concept de l’Autre. La méthode de Foucault s’avère ainsi structuraliste : l’exclusion devient une des variantes possibles à l’intérieur d’une structure plus vaste qui englobe la façon de concevoir l’Autre propre à la culture européenne.

On a déjà eu l’occasion de dire brièvement à quel point l’objectif de se distancier de la méthode structuraliste était important pour Foucault. On voudrait montrer maintenant en quoi consiste la différence entre la méthode structuraliste et l’analyse « archéologique ». Il nous semble que c’est l’idée de la généalogie du pouvoir qui permet de comprendre au mieux cette différence. Souvent, dans ses entretiens, Foucault dit qu’il n’a pas de méthode au sens propre[62]. Or, on peut affirmer que la généalogie du pouvoir était une forme de méthode qui permettait à Foucault d’organiser d’une manière systématique sa conception originelle de l’archéologie du savoir. Il faut noter une idée présente dans l’Histoire de la folie : la médecine qui s’est approprié finalement la vérité de la folie n’est pas un producteur autonome de cette vérité. C’est en cela que consiste la vérité fondamentale de l’époque, qui ne coïncide pas cependant avec ce qui s’impose comme la vérité à l’intérieur de l’époque. C’est la vérité qui est décelée par la généalogie du pouvoir. Dans cette thèse ou, si on peut dire, dans cette vérité de l’Histoire de la folie, nous avons un premier reflet de ce changement qui se produit dans la manière de représenter le rapport entre le savoir et la vérité. S’il est réduit traditionnellement à l’idée que la vérité est produite par le savoir, la généalogie du pouvoir découvre un dynamisme beaucoup plus plurivoque : la vérité signifiante pour telle ou telle époque ne se trouve pas uniquement dans la dimension du savoir, mais elle se produit dans des domaines différents de celui du savoir, et il existe des processus complexes où la vérité se forme au-delà de la sphère du savoir et grâce auxquels elle s’infiltre dans cette sphère.

La généalogie du pouvoir est loin de se contenter d’une simple constatation. En premier lieu, elle décèle les procédures par lesquelles est établie telle ou telle vérité. À un certain moment, en définissant l’orientation principale de son travail, Foucault nous dit qu’il s’agit du travail du diagnostic[63]. Il nous semble que l’opération qui consiste à « faire le diagnostic » concerne en premier lieu le travail de la généalogie. En ce sens, la généalogie est un travail analytique qui prend en compte de nombreux éléments microscopiques à partir desquels est formée telle ou telle vérité.

Dans le contexte de la tâche qui consiste à distinguer l’approche archéologique de l’approche structuraliste, on pourrait se servir de la notion de « symptôme ». Cette notion pourrait développer la métaphore du « diagnostic » parce qu’elle permet de décrire la corrélation entre l’objet d’analyse (en l’occurrence, certains événements historiques) et son sens qui est découvert par un chercheur. Le « symptôme » permet d’effectuer cette description dans une autre perspective que celle qui est fournie par le concept structuraliste de signe.

Le signe se donne à comprendre à travers la formation des rapports entre le signifiant et le signifié. Le signe renvoie d’une manière référentielle au signifiant, et lui, à son tour, renvoie au signifié comme étant la base de toutes les significations qui forment l’objet du savoir. Cette structure a ainsi deux pôles constitués par deux unités : l’unité du signe et l’unité du signifié, de la réalité. Elles forment la simplicité originelle du sens qui permet d’arriver finalement à un certain « état de choses » représentable d’une manière univoque. La complexité de « jeu », du processus de l’interprétation vient du signifiant parce que c’est le signifiant qui est le fondement sur lequel la « construction de sens » est édifiée. En outre, l’axiome de la « stratégie de sens » consiste dans la thèse selon laquelle tout signifiant est organisé sur le modèle de la langue. C’est pour cela qu’il faut considérer le structuralisme dans le cadre des conceptions linguistiques, même si en réalité les objets de l’analyse structuraliste ne sont pas réduits uniquement aux objets linguistiques. En même temps, on reconnaît comme caractéristique fondamentale de la langue sa capacité à reproduire des sens différents dans des formations répétitives et stables : les paradigmes (les morphèmes, les phonèmes). Ainsi, la condition fondamentale de la perception correcte, de l’assimilation de la langue, est le fait de posséder ces formes abstraites qui peuvent varier d’une langue à l’autre, mais qui ont une stabilité inébranlable dans chaque langue déterminée[64]. Donc, l’unité est présente aussi dans le signifiant, quelle que soit la pluralité des significations et de sens qui est cachée derrière lui (l’autre nom pour cette unité est « évidence »). Elle est même un moment-clé pour la perception correcte de deux autres unités qui se situent aux pôles de la structure : l’unité du signe et l’unité du signifié. La corrélation complexe de ces unités forme un système de présences simples qui à la fois se trouvent derrière tous les entrelacements possibles de sens différents et forment leur base invisible, mais toujours présente.

C’est à cette stratégie d’interprétation structuraliste que s’oppose la stratégie qu’on appelle « symptomatologique » et qui caractérise, à notre avis, la méthode de la généalogie du pouvoir. La différence principale entre ces deux méthodes consiste en ce que la stratégie « symptomatologique » pour comprendre et interpréter un élément, ne peut pas se contenter de la présence de l’unité. Elle ne peut pas ne pas prendre en compte en premier lieu l’« adhésion » de cet élément avec un autre. Mais cependant cette « adhésion » est d’un genre particulier : il ne faut surtout pas la comprendre comme un lien de cause à effet, c’est-à-dire comme une interdépendance directe, ou comme l’« adhésion » des éléments différents à la base de la formation plus globale qui serait, en l’occurrence, la structure commune pour ces éléments. Cela veut dire qu’il ne s’agit pas d’éléments du même ordre, c’est-à-dire d’éléments homogènes. L’interprétation structuraliste ne travaille qu’avec des éléments homogènes, elle part même du principe de leur homogénéité. C’est pourquoi le sens qu’on obtient grâce à la stratégie structuraliste dépend du fait que les éléments appartiennent à un espace commun dans lequel le système des unités simples joue le rôle de système de coordonnées. En revanche, la stratégie « symptomatologique » se caractérise par une méfiance initiale par rapport aux sens qui sont obtenus dans le cadre de formations homogènes. Cette stratégie ne travaille pas avec des éléments homogènes, parce qu’il n’existe pas de lien univoque et absolument évident entre les symptômes. Pour le structuralisme, tout comme pour la sémiologie, le sens se forme dans le système des présences. Pour la « symptomatologie », le sens se découvre dans le système des lacunes, des réticences, des défauts, des hiatus.

Voici quelques exemples des symptômes qu’on trouve dans les recherches de Foucault :

  1. Comme nous avons déjà mentionné, dans l’Histoire de la folie il y a une idée qui traverse tout le livre comme un fil rouge : l’idée selon laquelle il existe à l’âge classique un déséquilibre entre deux sphères de l’existence de la folie – la sphère pratique et la sphère théorique.
  2. Dans sa recherche sur la sexualité dans la société bourgeoise en train de naître, Foucault note qu’il existe une contradiction entre, d’une part, les restrictions auxquelles sont soumises les manifestations de la sexualité dans la vie sociale[65], et, d’autre part, l’incitation à exprimer ces manifestations, bien qu’elles soient défendues, dans une sphère certaine de l’existence individuelle (dans le cadre de la pratique de l’aveu).
  3. Dans sa recherche sur «La technologie politique des individus» Foucault remarque une contradiction qui existe entre les boucheries collectives et les programmes de la protection sociale de l’individu :

« La coexistence, au sein des structures politiques, d’énormes machines de destruction et d’institutions dévouées à la protection de la vie individuelle est une chose déroutante qui mérite quelque investigation. C’est l’une des antinomies centrales de notre raison politique. »[66]

Dans ces exemples, nous avons affaire avec l’analyse dont la « force propulsive » est une absence de lien évident. C’est cette absence qui demande à être interprétée. Le but paradoxal que se propose une telle analyse consiste à clarifier le sens de l’absence. L’objection qui pourrait être adressée à telle analyse, pourrait être formulée de la manière suivante : le chercheur qui pratique ce type d’analyse est voué à une recherche infructueuse et aux interprétations fausses parce qu’il cherche à expliquer des phénomènes qui appartiennent à des champs principalement différents et qui ne peuvent pas être mis sur le même plan, tout comme ils ne peuvent être ni comparés, ni confrontés. En effet, la « pratique de l’internement » et l’histoire des décrets et des institutions destinées à définir le statut social de la « folie » font partie de l’histoire du développement des établissements sociaux, tandis que les théories qui concernent le phénomène des déviances psychiques forment une toute autre histoire, celle de la psychiatrie comme branche de la théorie médicale générale. Aussi, l’évolution et l’usage des appareils de destruction appartiennent à l’histoire des rapports internationaux stratégiques, à l’histoire des guerres et des accords, tandis que le développement des programmes de protection sociale fait partie de l’histoire du devenir de la société démocratique.

Pourtant, c’est dans cette réunion d’éléments hétérogènes dans un champ unique de problématisation que consiste la spécificité du travail historique de Foucault. Sa méthode ne reconnaît pas un sens déjà donné dans des évidences historiques incontestables comme, par exemple, les conflits internationaux, les institutions sociales etc.

[1] FOUCAULT Michel, Histoire de la folie à l’âge classique, Paris, Gallimard, 1972, p. 269.

[2] Ibid., p. 174.

[3] C’est par cela qu’on peut expliquer le fait que Derrida dans son interprétation relève « une dimension hégélienne » du livre de Foucault. DERRIDA Jacques, L’écriture et la différence, Paris, Seuil, 1967, p. 59.

[4] FOUCAULT Michel, L’archéologie du savoir, Paris, Gallimard, 1969, p. 26-27.

[5] À propos de l’importance qu’avait pour Foucault ce but, voir le chapitre « L’adieu au structuralisme » du livre de BLANCHOT Maurice, Michel Foucault tel que je l’imagine, Paris, Fata Morgana, 1986, pp. 18-24.

[6] Peu de philosophes ont remarqué que ces deux notions ne peuvent pas se réduire l’une à l’autre. La différence des interprétations qui existent à propos de l’Histoire de la folie est déterminée par le fait que l’on accorde ou non de l’importance à leur altérité.

[7] BLANCHOT Maurice, L’entretien infini, Paris, Gallimard, 1969, p. 292. Je souligne.

[8] Il vaut la peine de prêter l’attention au fait qu’il s’agit ici en particulier de « l’espace ». C’est par cet espace que sont séparées deux essences isolées entre lesquelles la différence extérieure est ainsi établie.

[9] Dans son livre Foucault mentionne les énumérations caractéristiques qui témoignent d’un pareil mélange : « Depuis 1650 jusqu’à l’époque de Tuke, de Wagnitz et de Pinel (c’est-à-dire, jusqu’à la fin du XVIIIème), les Frères Saint-Jean de Dieu, les Congréganistes de Saint-Lazare, les gardiens de Bethléem, de Bicêtre, des Zuchthaüsern (il s’agit ici des différents Hôpitaux généraux), déclinent le long de leurs registres les litanies de l’internement : « Débauché », « imbécile », « prodigue », « infirme », « esprit dérangé », « libertin », « fils ingrat », « père dissipateur », « prostituée », « insensé ». Entre tous ces qualificatifs, aucun indice d’une différence : le même déshonneur abstrait. L’étonnement qu’on ait enfermé des malades, qu’on ait confondu des fous et des criminels, naîtra plus tard. Nous sommes pour l’instant en présence d’un fait uniforme. » FOUCAULT Michel, Histoire de la folie à l’âge classique, Paris, Gallimard, 1972, pp. 95-96.

[10] « Klinifizierung ». In : HABERMAS Jürgen, Der philosophische Diskurs der Moderne, Frankfurt, Suhrkampf, 1985, p. 280.

[11] BLANCHOT Maurice, L’entretien infini, Paris, Gallimard, 1969, p. 298.

[12] Elles apparaissent principalement, dans les entretiens qui étaient publiés pendant sa vie dans diverses revues françaises et étrangères.

[13] FOUCAULT Michel, Dits et écrits IV (1980-1988), Paris, Gallimard, 1994, p. 670.

[14] FOUCAULT Michel, Dits et écrits III (1976-1979), Paris, Gallimard, 1994, p. 402. Je souligne.

[15] Un peu plus tard, on va revenir sur cette thèse très importante qu’on peut considérer comme un des exemples de la généalogie du pouvoir.

[16] FOUCAULT Michel, Histoire de la folie à l’âge classique, Paris, Gallimard, 1972, p. 447.

[17] Ibid., p. 94.

[18] Ibid., p.96.

[19] Ibid., p.129.

[20] Ibid., p. 174.

[21] Cette citation représente à la fois une conclusion que Foucault tire à une certaine étape de sa recherche, et le projet qui est à la base de la conception du livre dans son ensemble.

[22] FOUCAULT Michel, Histoire de la folie à l’âge classique, Paris, Gallimard, 1972, p. 189.

[23] Je cite ici d’après Derrida, qui, quant à lui, utilise l’édition de 1961. DERRIDA Jacques, L’écriture et la différence, Paris, Seuil, p.57.

[24] La notion de « l’exclusion » est un élément de base structurant le livre de Foucault. C’est cela que soulignent les philosophes américains Hubert Dreyfus et Paul Rabinow. Voir DREYFUS Hubert, RABINOW Paul, Michel Foucault. Un parcours philosophique. Au-delà de l’objectivité et de la subjectivité, Paris, Gallimard, 1984, p. 17-18 : « Dès les premières pages, Histoire de la folie à l’âge classique introduit ces deux thèmes parallèles de l’exclusion géographique et de l’intégration culturelle qui vont structurer l’ensemble du livre. »

[25] FOUCAULT Michel, Histoire de la folie à l’âge classique, Paris, Gallimard, 1972, p. 40.

[26] Ibid.

[27] Ibid., p. 38.

[28] Ibid., p. 37.

[29] Ibid., p. 38.

[30] Ibid., p. 39.

[31] Ibid., p. 56.

[32] FOUCAULT Michel, Les Anormaux. Cours au Collège de France. 1974-1975, Paris, Seuil/Gallimard, 1999, p. 24.

[33] Ibid., p. 7.

[34] Ibid., p. 12.

[35] FOUCAULT Michel, Résumé des cours, Paris, Julliard, 1989, p. 73.

[36] Ibid.

[37] FOUCAULT Michel, Les Anormaux. Cours au Collège de France. 1974-1975, Paris, Seuil/Gallimard, 1999, p. 51.

[38] Ibid., p. 52.

[39] FOUCAULT Michel, Résumé des cours, Paris, Julliard, 1989, p. 75.

[40] FOUCAULT Michel, Les Anormaux. Cours au Collège de France. 1974-1975, Paris, Seuil/Gallimard, 1999, p. 54.

[41] Ibid., p. 56.

[42] BLANCHOT Maurice, Michel Foucault tel que je l’imagine, Paris, Fata Morgana, 1986.

[43] DELEUZE Gilles, Foucault, Paris, Minuit, 1986.

[44] BAUDRILLARD Jean, Oublier Foucault, Paris, Galilée, 1977.

[45] BLANCHOT Maurice, Michel Foucault tel que je l’imagine, Paris, Fata Morgana, 1986, p. 34.

[46] Ibid., p. 49.

[47] Comme exemple frappant de cette interprétation, on peut mentionner un texte intéressant à maints égards, « Foucault tribunal » (http://www.foucault.de).

[48] HABERMAS Jürgen, Le discours philosophique de la modernité, Paris, Gallimard, 1988. (Cf. HABERMAS Jürgen, Der philosophische Diskurs der Moderne, Frankfurt, Suhrkampf, 1985.)

[49]    Ibid., p. 281-314.

[50] Ibid., p. 315-347.

[51] Ibid., p. 282-294.

[52] Ibid., p. 283. Il faut remarquer que c’est cette thèse de l’Histoire de la folie que Blanchot, lui aussi, comme on l’a vu, propose de considérer comme une formulation du projet de ce livre. (BLANCHOT Maurice, L’entretien infini, Paris, Gallimard, 1969, p. 292).

[53] Ibid.

[54] Ibid.

[55] Ibid., p. 284.

[56] Ibid., p. 285.

[57] Ibid.

[58] Ce qui ne se réduit pas simplement au geste qui substituerait un signe à l’autre. On ne peut pas néanmoins ranger Derrida parmi les interprètes qui simplifient fondamentalement le projet de l’Histoire de la folie en l’interprétant comme une tentative de substituer le moins au plus.

[59] La folie n’existe pas hors du renfermement. C’est en cela que consiste la vérité fondamentale de l’âge classique qui est découverte par la recherche « archéologique ». Le « silence » de la folie ne veut pas dire, comme le pense Derrida, que la folie elle-même est un silence. Cela veut dire que l’existence de la folie à l’âge classique est inséparable de ces apparences dans lesquelles elle figurait à l’intérieur des pratiques (discursives et non-discursives).

[60] Ibid., p. 283. Je souligne.

[61] Foucault montre justement que la limite établie par la raison produit en même temps la « forme » à l’intérieur de laquelle la « folie » devient possible. Et le franchissement de cette limite n’est pas identique à la « transformation ».

[62] FOUCAULT Michel, Dits et écrits III (1976-1979), Paris, Gallimard, 1994, p. 404.

[63] FOUCAULT Michel, Dits et écrits, 1954-1988, Paris, Gallimard, 2001. V.1: 1954-1975, p. 634 : « Je cherche à diagnostiquer, à réaliser un diagnostic du présent […]. »

[64] Il semble qu’elle ne puisse être ébranlée que par certaines expérimentations surréalistes.

[65] L’exemple le plus frappant que cite Foucault, c’est une fondation en Allemagne de l’école pour les garçons où la conduite sexuelle des élèves a été soumise à un contrôle incessant dans le but de rendre impossible « le péché de la masturbation ».

[66] FOUCAULT Michel, Dits et écrits IV (1980-1988), Paris, Gallimard, 1994, p. 815.