Exposé préparatoire de Igor TCHUBAROV.

Traduit par Arthur Clech et Denis Goloborodko.

« Pas une classe dans la société ne nourrit autant de compassion à l’endroit du Pouvoir Suprême et pour sa lutte contre les abus de pouvoir que les hommes de plume et de pensée, ceux qu’on appelle les hommes de lettres.»
Fiodor Tioutchev

Notre exposé sera consacré à la particularité des interactions entre le pouvoir et le savoir dans le passage «à la russe» de l’ancien régime au régime moderne au milieu du XIXe siècle. À mon sens, la manière dont Foucault pose la question ne correspond pas entièrement à la réalité historique russe. Dans quelle mesure ses idées peuvent s’appliquer à notre histoire: y a-t-il une liberté  moindre de l’individu dans notre société de contrôle par rapport à l’ancien régime? Il nous est parfois difficile d’évaluer à quel point la pensée de Foucault est radicale,  la Russie n’ayant pas encore dépassé certaines structures dominantes de l’ancien régime[1]. En outre, ces structures existent dans notre vie sociale non pas seulement comme des vestiges du passé, mais elles conditionnent en réalité jusqu’au mode même de relations qu’ont les gens entre eux. Je veux dire par là les pratiques de violence non identifiées en tant que telles. Si ces pratiques règnent dans des institutions comme l’armée et la prison en Russie, elles s’expriment quotidiennement sous la forme d’une loi tacite. C’est la raison pour laquelle nous ne pouvons entièrement soutenir la critique de Foucault des institutions civiles du pouvoir et du système juridique,  qui ont été adoptés dans les démocraties contemporaines occidentales sans avoir su couper le cordon ombilical avec le modèle de la souveraineté. Mais en Russie, ces institutions civiles n’ont jamais été validées durablement, tant sous le régime prérévolutionnaire qu’à l’époque soviétique ou bien  de nos jours.

Ainsi convient-il d’user avec précaution des analyses de Foucault dans son application aux réalités russes. Néanmoins, son approche ne perd pas de sa pertinence quand à la caractérisation de certaines d’entre elles.

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Alors qu’en Russie, on a souvent tendance à en appeler aux mythes de l’ «idée russe», de «la sobornost’», c’est-à-dire de la communion spirituelle de personnes vivants ensemble pensée comme un modèle social s’opposant à l’individualisme occidental et de «la foi», qui caractériseraient le mode de vie des Russes du soi-disant bon vieux temps pour traiter des origines de la spécificité russe. Cette démarche n’est pas la mienne. Je préfère me pencher sur les tentatives de modernisation et de rationalisation des  différentes formes que prend la vie sociale russe au milieu du 19è siècle. Remarquons en passant que cette analyse des structures sociales fera ressortir certaines hypothèses que j’émets par rapport au triomphe ou à l’échec de la philosophie russe selon le point de vue que l’on défend, sachant que cette dernière prétend à un discours absolument libre, comme si elle n’était aucunement conditionnée par le monde l’environnant. L’on entend par différentes formes que prend la vie sociale russe aussi bien la monarchie absolue, le servage, le système d’éducation que la censure. Ces différentes formes de la vie sociale déterminaient la situation dans laquelle se trouvaient tout autant la paysannerie que le savoir et la parole entre les mains des milieux intellectuels et politiques.

Prenant en compte les critiques formulées par Foucault lui-même sur ses premiers écrits, nous ne nous hâterons pas à caractériser les déterminations qu’exercent sur les esprits à la fois la religion, l’idéologie d’Etat, les impératifs économiques en termes d’interdit et de répression.

Mais d’un autre côté, l’on peut dire nettement que ce que l’on pourrait appeler notre «logos russe» n’a pas atteint ce niveau de contrôle total et de surveillance, que Foucault a pu observer dans le soi-disant «savoir pur». La question est de savoir s’il s’agit de notre malheur ou au contraire, d’une occasion de réjouissance, d’être optimiste.

Il n’y a pas lieu de montrer avec insistance le lien entre le pouvoir et le savoir dans les sources russes, et ce qui apparaît chez Foucault comme un paradoxe productif apparaît chez nous, en Russie, presque comme l’énoncé d’une simple banalité.

Si l’évidence des relations qu’entretiennent le pouvoir et le savoir ne sont pas à démontrer dans une spécificité historique russe, néanmoins l’on ne comprendra pas plus aisément la spécificité russe dans la manière dont s’établissent les rapports entre le pouvoir et le savoir.

De sorte que l’on peut formuler notre problématique sous la forme de la question de l’identité nationale, sur laquelle se sont stratifiés nombre de mythes jusqu’à aujourd’hui. La thèse d’un caractère particulier de la philosophie russe se trouve être l’un de ces mythes.

Notre exposé s’oriente vers sa démystification en s’appuyant sur l’analyse d’une des formes de la vie sociale: la censure. Nous cherchons à savoir de quelle manière elle a pesé sur le devenir de la philosophie russe, de la littérature et de écrits des publicistes, tant sur le fond [forme et style, cela revient au même, non?] que sur le style. À la manière du dispositif de sexualité mis à jour par Foucault, la censure fonctionne elle aussi comme un dispositif. En effet, elle est l’exemple même de rapports paradoxaux entre l’individu, le discours, la vérité et la cœrcition qui sont propres à la société russe.

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Le thème de la censure n’est pas très en vogue auprès des historiens de la philosophie russe. Le siècle dernier, seul Gustave Shpet a cherché à le développer. Du reste, ce dernier s’est voulu le fossoyeur de la prétendue «particularité» de la philosophie russe. Une assez courte citation de «Essai sur le développement de la philosophie russe» (Moscou, 2008, p.96) sur le sujet: «l’interdiction de la philosophie, ou des réflexions s’y approchant, conduit à la défigurer. Son expression déformée prend des formes monstrueuses et, d’un point de vue esthétique, tout à fait repoussantes. L’amour de la «sagesse» pris comme l’art libre de penser dégénère en une spéculation pseudo-philosophique d’une morale stagnante du raisonnable.»

S’appuyant sur des sources de l’histoire de la philosophie de la fin du XVIIIe à la première moitié du XIXe, Shpet a examiné l’origine des thèmes développés dans un type de récit édifiant, qui a circulé ensuite dans des textes divers et variés, mais tous à prétentions philosophiques.

Comme il l’a bien mis en exergue, ils ne se distinguent en rien, ne comportent aucune originalité car il ne s’agit que d’un collage de diverses sources occidentales. Bien que ces textes postulent une synthèse de principes contradictoires, qu’il s’agisse par exemple de principes ontologiques ou bien de principes gnoséologiques, cette synthèse est vouée à l’échec que l’on peut constater dans les textes même dans lesquels elle se trouve formulée.

Le thème le plus spécifique de la philosophie russe a toujours été la Russie même «comme le problème matériel et le problème de l’histoire et de l’historisme comme le problème de la forme et de la méthodologie»[2]. Malheureusement, cet historisme n’a pas fait sortir la philosophie russe vers [si c’est bien là le sens, « sortir vers », « quitter pour »] le terrain d’une réflexion universelle de l’homme quant à son existence en s’arrêtant sur la problématique de la connaissance de soi, soumettant constamment les penseurs russes au cercle vicieux de l’autojustification et du psychologisme.

Cependant l’on peut parler d’une certaine «spécificité» de la philosophie russe. Mais il convient de ne pas l’associer à des prétendues vérités de la foi  qui seraient gardées intactes par l’église orthodoxe, ni à des traditions supposément glorieuses de l’autocratie, ni même au caractère prétendument naturel du quotidien paysan qui manquerait à la civilisation occidentale .

Il faudrait plutôt associer cette spécificité aux pratiques répressives nationales et aux instituts se chargeant de la question et de l’aveu, qui laissent une empreinte étymologique dans la langue russe. Il n’est pas fortuit qu’en russe une série de synonymes du mot vérité est liée à des procédés connus de torture. Par exemple, la notion ‹ost’› , c’est-à-dire authenticité, provient du mot ‹lin’› , c’est-à-dire une cravache hollandaise sous l’action de laquelle l’on obtenait l’aveu. Il n’est pas superflu de mentionner comment on pouvait obtenir l’aveu: publiquement, une personne pouvait volontairement se prêter à l’aveu en criant «de la parole à l’acte!» [3], sachant qu’en le disant, elle se soumettait consciemment aux mains de la torture, considérée alors comme gage de vérité. Le sens de la torture ne se réduit pas du tout au seul désir d’éviter des témoignages mensongers. Il est avant tout lié au désir du pouvoir d’éprouver la vérité de tout savoir qui soit au moyen de la violence et au déni par le pouvoir de tout autre source de savoir qui lui serait étranger.

Il faut peut-être noter certaines histoires plaisantes qui se sont déroulées lors de ce que l’on pourrait appeler la période de la pré-censure. M. Hernet[4] relate l’histoire de curieux prisonniers enfermés lors du XVIIIe siècle. Il s’agit du devin Avel’, qui été incarcéré sous le règne de plusieurs tsars, et cela vingt ans durant, pour avoir prédit soi disant avec exactitude la date de leur mort, de l’invasion de la Russie par les Français et de l’incendie de Moscou. C’est seulement sous le règne de Nicolas 1er qu’il a été relégué dans un monastère. M. Hernet évoque également un autre curieux prisonnier en la personne du premier économiste russe, l’autodidacte Pososhkov, qui a commis l’imprudence d’écrire au début du XVIIIe siècle un traité intitulé «De l’Indigence et de l’Opulence» (de la misère et de la richesse) et est mort à la forteresse de Pierre et Paul en 1726.

Plus intéressante encore, la figure de Philippe Belikov, déporté à Tobolsk, en Sibérie, sous l’impératrice Anne, pour une prétendue «certaine faute». De là-bas, il s’est adressé aux autorités, leur proposant d’écrire deux livres – l’un sur «l’économie naturelle», et l’autre sur l’alchimie. Les autorités ont donné leur accord, et ont exigé de lui l’engagement selon lequel «il n’écrira rien du tout ni contre Dieu, ni contre sa majesté impériale, ni contre l’Empire russe», et elles l’ont transféré à la forteresse de Shlusselbourg pour lui donner soi-disant les conditions nécessaires à «une meilleure rédaction» des livres mentionnés

Il a passé 18 ans en prison en compagnie de sa femme et ses enfants et a été libéré seulement sous le règne de l’impératrice  Catherine II. Il n’est parvenu qu’à écrire son traité d’économie. Ce dernier a fait l’objet d’un verdict prononcé par le Sénat, concluant que le traité ne présentait aucun intérêt et  soupçonnant que son auteur n’était pas sain d’esprit. Tous ces exemples, pris à l’époque dite de la pré-censure, peuvent apparaître surréalistes, mais ils reflètent la réalité de la situation de l’intellectuel en Russie.

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En commençant par le règne d’Alexandre 1er, qui était appelé le «franc maçon», puis par les règnes de Nicolas 1er, appelé l’«oppresseur» et Alexandre 2, appelé le «libérateur», l’on peut distinguer différents ensembles stratégiques, qui développent des dispositifs de pouvoir-savoir par rapport à la philosophie prise comme une expérience et un discours spécifiques:

  1. Le rapport à la religion
  2. Le rapport à l’autocratie
  3. Les relations qu’entretiennent l’orthodoxie et l’autocratie
  4. le rapport à la société (au peuple)

Ces ensembles ne sont pas apparus au même moment, et ont eu leur propre développement, subissant nombre de transformations, par intermittence, au cours de la seconde moitié du XVIIIe et de la première moitié du XIXe, et ensuite, lors de la période des réformes. Mais ce qui les unit, c’est leur même rapport à la philosophie, prise comme un instrument pouvant servir des causes qui lui sont étrangères.

Hormis la question même de l’autonomie de la philosophie, il est patent que le regard posé sur la philosophie par la majorité des philosophes russes, des personnalités publiques et des hommes politiques fait montre d’un utilitarisme incontestable. Mais un doute fait naître une question: dans quelle mesure les orientations générales des philosophes et des penseurs russes relèvent d’une démarche sincère, voire «authentique», c’est-à-dire non déformées par la censure ou s’agit-il simplement de stratégies philosophiques? L’on peut donner, comme exemple de ces orientations philosophiques, leur attention aiguë à distinguer la raison de la foi, leur tentative de justifier la foi comme un instrument cognitif par excellence et même comme une véritable alternative au ratio occidental.

Pierre Tchaadaeïv, Apologie d’un fou

Il suffit de mentionner ce qui s’est produit avec des grands hommes d’état  comme le ministre libéral d’Alexandre 1er, Michel Speranski, avec des hommes de lettres influencés par les Lumières comme Alexandre Radichtchev et avec des philosophes comme le fichtéen russe d’origine allemande, Jean Baptiste Shad, comme Pierre Tchaadaïev, l’occidentaliste qui provoqua la polémique avec les slavophiles et comme le slavophile éclairé Ivan Kireïevski. Tous ont été accusés d’être, ou bien des révolutionnaires (Radichtchev) ou, au mieux,  des fous (Tchaadaïev) ou  des révoltés. C’est la raison pour laquelle les premières tentatives de philosopher en Russie n’ont pas pu ne pas être touchées par des formes particulières de mimétisme face à la menace toujours possible des répressions. Ce mimétisme a pu prendre des formes différentes en Russie. Elles peuvent être en outre distinguées des phénomènes analogues observés dans l’histoire occidentale.

L’on sait que les philosophes occidentaux ont toujours répondu aux autorités et aux institutions religieuses par des idées, comme par exemple celle de la double vérité. L’on se souvient notamment de Socrate-Platon, de Averroès et de John Duns Scot, de William Occam et de Roger Bacon jusqu’à Kant. Cependant, l’efficience d’une telle réponse théorique était conditionnée par les formes mêmes que prenait le pouvoir, réparti dans un rapport de force entre  différents centres participant à ce pouvoir.

Inversement, même si cette théorie s’apparente à un compromis, et même si elle n’a pas toujours été capable de faire adopter le ratio [pas compris] dans le champ social, son recours a favorisé sans nul doute la démocratisation et la rationalisation des rapports de pouvoir.

Mais dans un contexte russe bien particulier, comme nous l’avons dit auparavant, ces rapports de pouvoirs doivent être éclairés par de sérieuses explications. Notre idée consiste en ceci: la forme de la vérité absolue, embrassant par elle-même, tant la nature que les sphères sociopolitiques et les sphères religieuses, cette vérité absolue, dont se réclamait la pensée russe, reflétait les stratégies universalisantes et impériales du pouvoir russe. Nous n’en appelons pas ici au caractère absolu et sacré du pouvoir. Le pouvoir, bien sûr, a pris à différentes époques des formes analogues à celles que Foucault a mis en évidence dans  ses travaux[5].

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En tant qu’institution d’état, la censure laïque est apparue presqu’au même moment que la philosophie. Il faut dire que les comités de censure, qu’ils soient religieux ou laïques étaient notamment composés de professeurs d’université. Et au début du XIXè siècle, les organes de censure sont établis au sein même des universités.

Dans le Grand séminaire de Pétersbourg, le théologien et philosophe russe Fedor Goubinski occupait une fonction de censeur. Oreste Novitski, l’écrivain et le philosophe, professeur au grand séminaire de Kiev, les poètes Appolon Maïkov et Jakov Polonski et les écrivains comme Pierre Viazmski, proche des décabristes mais devenu farouche conservateur, et Ivan Gontcharov, l’auteur d’Oblomov: tous ont été censeurs. Mais ce qui nous intéresse avant tout, c’est l’activité du célèbre poète Fiodor Tioutchev, le directeur du département des œuvres étrangères du Haut Comité de Censure avant la période des réformes

Pour Tioutchev, la censure n’était pas qu’une institution productrice d’interdictions. Ici, il faut prendre en compte qu’au début de son établissement, la censure a été une alternative à une interdiction totale, en donnant une existence autorisée à la littérature, à la philosophie etc… Elle a même rempli des fonctions positives, dont on ne saurait certes exagérer l’importance[6]. La fonction de la censure s’est constamment redéfinie et transformée selon la conjoncture politique. Lors de son investiture, Tioutchev s’est plutôt plaint de l’absence de la censure, et il s’est efforcé de démontrer l’effet salutaire des éditions passées par la censure, qui se trouvaient conformes aux intérêts de l’autocratie.

L’absence de la censure ne supposait pas, bien entendu, que tout était permis, mais signifiait surtout que la censure prohibitive interdit non pas tant l’objet interdit que la possibilité aux citoyens de l’Etat d’évaluer eux-mêmes le caractère bienfaisant ou funeste de telles ou telles autres innovations.

Avant tout, le représentant du comité de censure définit les principes de son activité comme s’il s’agissait des formes de rationalisation des rapports du pouvoir souverain et des forces sociales émergentes.

En conformité avec les formulations[7] de la censure, Tioutchev est parvenu, même à l’époque précédant les réformes (et parfois même contre l’avis de ses subordonnés), à la publication d’une littérature non sans danger pour l’aristocratie et l’orthodoxie russes, comme par exemple les œuvres de Bastia, Bentham, Lamartine, Louis Blanc, Thiers, Darwin, Boccace, Byron, Shelley, Balzac et Heine. Il considérait que la censure ne pouvait se réduire à l’interdiction d’œuvre littéraire parce que cette interdiction suscitait en réalité un intérêt[8] disproportionné du public pour l’œuvre interdite. Selon Tioutchev, il fallait autoriser la majorité des œuvres étrangères et encourager la publication nationale, en faisant montre d’une vigilance à l’endroit des entorses à la loi les plus manifestes. Cependant, si l’on prend en compte que le pouvoir se charge de l’application des mesures de la loi, les critères d’une pareille législation restaient floues[9]. Tioutchev les trouve à la limite de «sa raison éclairée» la faisant coïncider avec la raison d’état [pas très claire, cette phrase : à reformuler].

Et ici, Tioutchev rejoint l’opinion d’une personne étrangère aux Belles-Lettres: le baron V.N. Korf ancien directeur de la chancellerie du 2e département de Son Altesse Impériale, qui pensait qu’il fallait précisément procéder à un changement radical de législation en passant d’un système de censure préventive à un système préventive [?? « d’interdiction préventive »?]] [10]. Il lie directement la question de la censure avec la question de l’abolition du servage[11].

Quinze années de travail de Tioutchev au comité de censure l’ont contraint à reconsidérer la possibilité de la rationalisation de la censure, quand il a été confronté en pratique à des lois inopérantes et à leur emploi servant seulement d’instrument du pouvoir despotique. Il a dû se résigner à ne pas voir se coïncider la vérité de sa «raison» avec la raison d’Etat. Sa déception fut tellement grande qu’il en vient à déchanter non seulement sur les possibilités d’application de la raison dans le service d’Etat, mais sur la raison en tant que telle. « Le plus inutile en ce monde – c’est d’avoir la raison de son côté » – s’est plaint Tioutchev à la fin de sa vie[12].

L’un des motifs récurrents de sa correspondance, c’est l’inconscient et même la perversité de l’action du pouvoir autocratique, qu’il a critiqué, certes, selon un point de vue étatiste et nationaliste.

Le désir de Tioutchev de mettre au service du pouvoir son intelligence et son talent l’a conduit à modifier sa poésie tant et si bien qu’elle est  devenue peut-être malgré lui un instrument au service  d’intrigues politiciennes et de  propagande idéologique. De là, il convient de reconsidérer ses vers immortels [terme un peu fort, non?] sur l’incommensurabilité de la Russie: aucune « raison» ni aucune mesure, aucune archine, ne peuvent en rendre compte. Le caractère ironique, voire réactionnaire de la formule de Tioutchev témoigne d’avantage d’un désenchantement à propos de la raison que d’un enthousiasme pour le mystère de l’âme russe.

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Le pouvoir, comme toujours, devance ses réformateurs conservateurs. En 1865, Alexandre II a repris le système répressif de la censure française qui avait été adopté définitivement sous le second empire. Il a néanmoins conservé certains éléments de l’ancien système préventif. Plus que tout, Tioutchev a protesté contre ce caractère hybride de la nouvelle législation parce qu’elle rassemble les pires défauts des deux systèmes. Mais au début il a espéré que la loi promulgée n’allait pas être employée contre la presse, mais seulement comme une mesure préventive du droit. Cependant, il finit par prendre conscience de l’incompatibilité des idées de la raison et du droit avec l’absolutisme[13].

Le problème de Tioutchev est caractéristique de l’intelligentsia au service du gouvernement lors de la première moitié du XIXe siècle. Ce problème consiste à limiter le champ des réformes à un cercle étroit de nobles éclairés: c’est pour eux seulement qu’il a obtenu plus de libertés. Comme les partisans du comte S. Ouvarov, il s’est opposé seulement aux carriéristes, cherchant à s’ennoblir en grimpant les échelons de l’administration impériale, mais les besoins des masses populaires le laissaient complètement indifférent. «Là où l’autocratie appartient seulement au souverain – écrivait-il à sa fille déjà en 1870 – il n’y a rien de plus compatible que la liberté de la presse , mais ce n’est pas possible là où chaque fonctionnaire se prend pour le souverain. À supposer que le souverain ne se prenne pour un fonctionnaire.» [14]

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Il est évident qu’avec de telles positions, il était impossible de s’opposer à la diffusion d’un modèle despotique qui fonctionnait par mimétisme politique. Lorsqu’on proclame que le tsar est le représentant de Dieu sur terre, l’auteur et le garant de la loi, il n’y a pas lieu alors de parler de l’obéissance de l’autocrate à celle-ci. Mais son  rapport réel avec son subordonné ne peut être mis sur le même plan que la relation de Dieu avec sa créature. Plus précisément, les subordonnés du tsar adoptent le symbole de cette seule relation, l’imitent formellement sans vouloir prendre aucune responsabilité telle que le supposerait une telle relation. Avant tout, ils imitent la violence du tsar. Ils sèment précisément cette violence qu’ils ont récolté du tsar, et cela pour se venger de lui.

Ici, il n’est pas superflu de rappeler la thèse de Foucault que le pouvoir ne peut pas appartenir même au souverain comme s’il s’agissait de sa propriété. L’impossibilité de disposer entièrement du «pouvoir divin» a été douloureusement vécue précisément par ces souverains qui, pourtant, apparemment, exerçaient une domination absolue sur toutes les couches de la société. L’exemple d’Ivan Le Terrible fait sentir exactement cette situation particulière du souverain: il terrorisait en effet ses proches en feignant d’abdiquer en faveur d’un bouffon. Cependant, cela ne veut pas dire que le pouvoir était assuré en Russie de manière intermittente et hétérogène[15].

Bien que l’absolutisme du pouvoir a toujours été virtuel, il a des acteurs interchangeables, qui les «jours ouvrables» mettent en scène un vrai théâtre de la Cruauté Souveraine, pour ensuite tranquillement rentrer chez eux, et revenir à leurs petites affaires privées.

C’est vrai que pour la Russie, le principe de la sacralité du pouvoir a toujours caché pudiquement son caractère réellement profane. Le pouvoir supposait une telle cruauté  à laquelle pouvait, pour un temps,  se joindre n’importe quel puissant, puis ce dernier le quittait – comme si cela était sans conséquence et qu’il n’avait aucune espèce de responsabilité. Car, dans ce système, l’ultime pardon et l’expiation relevaient non pas même du tsar, mais de Dieu. L’arbitraire du tsar et des fonctionnaires était en quelque sorte le prolongement et l’exécution de l’arbitraire divin.

C’est la raison pour laquelle les discussions pourtant bien innocentes sur les questions du «droit naturel», de la censure rationnelle, et, en outre, de la double vérité, par des professeurs d’université et des intellectuels de cour étaient considérées comme dangereuses, alors que les censeurs reconnaissaient eux-mêmes que ce sont Dieu et le tsar, légitimé par l’onction divine, qui fondaient le droit naturel et la rationalité. D’ailleurs, du point de vue du modèle absolutiste, c’était tout à fait juste. En effet, il paraît impossible de réunir par exemple l’idée de la liberté de la presse avec la figure du pouvoir souverain, de l’autocratie, fondée sur le postulat de son caractère unique et de sa sainteté provenant de sa vérité religieuse.

C’est la raison pour laquelle les tentatives de rationalisation d’en haut du mode de vie russe se sont avérées infructueuses non pas à cause d’une mauvaise volonté, d’un manque de réceptivité du peuple, mais bien plutôt à cause de l’inconséquence du pouvoir russe, qui d’abord a trompé ses serviteurs les plus dévoués pour mieux les persécuter ensuite.

Le destin du ministre de l’instruction, le prince S. Ouvarov, est emblématique. Rappelons qu’il a conçu sinon peut-être la première, du moins la  seule doctrine idéologique du pouvoir russe[16]. Son point faible se trouve dans la fameuse notion de «nationalité», qui ne peut recouvrir toute la société russe, ni encore moins «le peuple russe». Il s’agit selon lui de la figure embrassant une force, qui ne dépendrait  ni de l’autocratie ni de l’orthodoxie, alors qu’elle a été définie à la base à partir de ces deux notions de l’autocratie et de l’orthodoxie. Mais elle est devenue une bombe à retardement, car avec l’émergence rapide au milieu du siècle d’une classe de roturiers, d’une population citadine et d’une paysannerie affranchie du servage, elle a rempli d’autres contenus qui ne lui avaient pas été initialement assignés par Ouvarov. Ses réformes ont été caduques car mal adaptées aux conditions sociales. En outre, Ouvarov est remplacé par un ministre encore plus obscurantiste, Shirinskij-Shikhmatov, qui a même fermé un temps la boutique de la philosophie russe. D’une manière paradoxale, à travers lui a vaincu l’ancienne «intelligentsia»[17], proche de l’aristocratie oppositionnelle, qui a cédé la place ensuite à une classe de roturiers, «fille du peuple».

Et c’est seulement quand sont apparues dans l’arène historique au milieu du XIXe siècle de nouvelles forces sociales (une intelligentsia issue de la classe des roturiers, et ensuite des classes ouvrière et paysanne) que dans la littérature russe est apparu un nouveau type de mimétisme, où il ne s’agit plus donc d’imiter le pouvoir divin, refusant toute norme imposée de l’extérieur. L’écrivain de la seconde moitié du XIXe siècle se fonde déjà sur d’autres types de sensibilité et imite  d’autres modèles de subjectivation. Le corps de l’Autre cesse d’être pour lui l’agent de distribution de la violence, et la violence devient elle-même un objet de représentation (comme chez L. Tolstoï). Par exemple, dans l’œuvre de Dostoïevski, la violence devient un procédé littéraire en soi, un moyen «par lequel la réalité peut être représentée»[18]. Ses héros ne font plus concurrence au pouvoir souverain, mais s’efforcent de se l’approprier. Une liberté sans entrave, une licence individualiste, voilà la nouvelle donne. Ironie du sort, s’ajoutant au mélange du pouvoir despotique et disciplinaire, la biopolitique fait son entrée en Russie.

En conclusion, examinons le schéma suivant :

De toutes les figures confondues intégrées dans ce schéma, la figure du censeur écrivain (Tioutchev) nous semble la plus intéressante.
Vous pouvez remarquer l’absence d’inversion du censeur-tsar.

Explication du schéma

Le «cloisonnement» correspond aux ruptures du désir.

L’idée du droit à la fois n’opère pas tant qu’il n’y a pas de public, parce que la classe dirigeante est refermée sur elle-même, et l’idée du droit ne permet pas en principe au tsar d’être écrivain. La censure semble ne s’adresser qu’à elle-même.

Conclusion

Je me suis efforcé d’appliquer à la compréhension du phénomène de la censure tsariste à l’époque des réformes destinées à moderniser le pays à la moitié du XIXe siècle ce que Foucault a dit sur les rapports entre le pouvoir et le savoir à propos de la production de la sexualité.

Il a fallu prendre en compte la spécificité de la réalité russe et la confronter aux changements sociaux participant à la modernisation de l’Europe occidentale, et en particulier aux changements sociaux qu’a connus la France.

La censure en Russie se distingue de celle de la France en ce qu’elle mêle les systèmes de censure préventive et répressive, dans un contexte particulier de décomposition du pouvoir monarchique. L’on sait que l’Europe a vu ces deux systèmes se confondre presque tout au long du XIXe siècle, et comme d’habitude, cette confusion a été une réaction du pouvoir, qu’il soit monarchique ou bien républicain, à la menace qu’elle faisait peser sur son existence même.

Néanmoins, en Russie, l’on observe le maintien d’éléments de la censure préventive jusqu’à la révolution de 1905, voire jusqu’à la révolution d’Octobre, voire même – avec néanmoins quelques éléments incompatibles avec la censure préventive – jusqu’à l’époque soviétique.

Ce qui m’intéresse ici, c’est les rapports entre le désir et la loi ainsi que leur économie dans leur spécificité russe. J’ai voulu montrer que la censure remplissait non seulement une fonction d’interdiction, mais également une fonction positive. Autrement dit, l’interdit lui-même doit se comprendre comme une fonction de rationalisation et de formation du phénomène qui était à contrôler alors, c’est-à-dire, la presse, la littérature, et en générale la culture. De la sorte, dans notre description du fonctionnement de la censure russe, nous avons recherché les «règles de précaution» que Foucault a formulé dans la Volonté de savoir à propos du dispositif de sexualité.

La réalité historique russe nous montre qu’il ne faut pas comprendre ce qui fait l’objet de l’interdit de la censure en tant qu’un domaine autonome d’un savoir scientifique ou en tant qu’un intérêt culturel qui ensuite serait étouffé par l’action mécanique d’une censure selon des exigences idéologiques. Ce qui fait l’objet de la censure est justement constitué des rapports entre le pouvoir et du système des rapports sociaux, grâce auxquels existe la culture

De là, le rôle des censeurs russes apparaît sous un autre jour. Ces derniers, comme par exemple Tioutchev dans le comité de censure de la littérature étrangère, possédaient une immense culture. Il est caractéristique qu’ils ne se sont pas contentés seulement d’autoriser ou d’interdire, mais ils ont conçu les formes mêmes de la rationalité, et ont crée la langue même de communication entre le pouvoir et la société, sachant qu’ils étaient eux-mêmes objet de l’interdit de la censure, puisqu’ils s’avéraient le plus souvent des philosophes, des poètes, des hommes de plume de leur temps.

L’on peut affirmer sans nul doute que ces censeurs ont tenté de former un objet de désir, c’est-à-dire, non pas tant le libérer, mais plutôt le découvrir et le conforter ainsi dans son rôle d’objet de désir.

Tableau 1

 Statistiques des livres interdits identifiés selon les thématiques qu’ils abordent.

Thématique % de livres interdits incertitude
Le sexe et l’érotisme 39,7 0,8
La philosophie 15,8 0,6
L’histoire 14,0 0,8
La religion 13,5 1,0
Les questions sociales 12,3 0,5
Les biographies 10,3 0,6
La littérature populaire (de masse) 9,4 0,5
La géographie 8,2 0,5
La fiction 7,8 3,6
L’état et le droit 6,5 1,0
L’histoire de la littérature
La critique littéraire 5,7 0,4
La santé 5,4 0,8
L’instruction et l’éducation 3,9 0,4
La linguistique 1,3 0,6
Les sciences techniques 0,7 1,2
Les sciences naturelles 0,6 6,3
L’histoire de l’art 0,3 4,1

Tableau 2

La répartition des livres importés par thématique (se basant sur des données concernant aussi bien les livres autorisés que les livres interdits)

La thématique % pris sur la quantité totale des livres importés
La fiction 23,7
L’Etat et le droit 12,7
La religion 12,3
L’histoire 9,1
La santé 6,1
Les sciences naturelles 6,1
Les biographies 5,2
La philosophie 3,9
La littérature populaire 3,5
L’histoire de la littérature et la critique littéraire 2,7
L’histoire de l’art 2,5
La géographie 2,4
Les questions sociales 2,3
Les sciences techniques 2,1
La linguistique 2,0
L’instruction et l’éducation 1,9
L’érotisme et le sexe 0,8
Autres 0,7
Total 100
Le nombre de livres pris comme échantillon représentatif 3742
Le nombre supposé de livres importés 70791

Le tableau représente un échantillon qui comprend aussi bien les livres autorisés qu’interdits.

La censure en langues étrangères

Les livres en anglais
  • Atkinson (J.Beavington). An Art Tour to Nothern Capitals of Europe. — London, 1873. — XII + 455 p.
    • pp. 169 —  18-23
  • Baxter W.E. England & Russia in Asia. — Lnd., 96 p. À l’exception des pages 17-18.
  • Kennen, George. Siberia & The Exile System. — Lnd., 1891. l. — XC + 409 р., Vol.II. — X + 5775 p.
  • Kipling, Rudyard. Mine Own People. — Leipzig, 1891. — XII +309 pp. — (The English Library. 41).
  • Kirkup, Thomas. A History of Socialism. — London, 1906. —408 p.
  • Lee, Francis Wetts. William Morris-Poet, Artist, Socialist. А selection from his writings together with a sketch of the man. —N.Y., 1891. — XIX + 300 p.
  • Lloyd H.E. Alexander I: Emperor of Russia; or a sketch of his life, and of the most important events of his reign. — Lnd., 1826— . XXXV + 315 p..
  • Samuelson, James. Bulgarid Past and Present Historical, political and descriptive. — Lnd., 1888. — XIV + 247 pp.: ill., front., 1 map.
  • Sharp, William. Sonnets of this Century. With a critical introduction on the sonnet. — Lnd., 1886. — LXIII + 333 p. pp. 214.
  • Sinclair (Sir Tollemache). A Defence of Russia & the Christians of Turkey; including a sketch of the Eastern question from 1686 to August 1877, etc. — Lnd., P.I. — XI + 252 pp. pp.234-238.
  • Stepniak S.M. The Russian Peasantry: their agrarian condition.
  • Swinburne, Algernon Charles. Poems and Ballads 2-d series 4-th ed. — Lnd., 1884. — IX + 240 p.
  • Tolstoy (Count Leo). Christ’s Christianitv / Trans, from Russian. — Lnd., 1885. — X + 384 p.
  • Tolstoy L.N. Work while you have the light. By Leo Tolstoy / Transl. from the Russian by E.J.Dillon. — London: The Brotherhood publ. Co., Croydon, 1895.
  • Turnerelli, Tracy. А Russian P-iacess and А Russian Ghost Story. Two historical and personal narratives. — Lnd. — XVII +  170 pp.: front, portr..
Les livres en allemand
  • Bebel, August. Aus meinem Leben. — Stuttgart: Verlag J.H.W.Dietz Nachf., 1910. — 224 S.
  • Documente des Socialismus. Hefte für Geschichte, Urkunden, und Bibliographie des Socialismus Herausgegeben von Eduard Bernstein. Bd.l enthaltend Hefte 1-12. — Berlin: Verlag der Sozialistischen Monatshefte, 1902. — 568 S.
  • Engels, Friedrich. Revolution und Kontre-Revolution in Deutschland. Von Karl Marx. — Stuttgart, 1898. — S. XXX +  191 S.
  • Feuerbach, Ludwig. Gotheit, Freiheit und Unsterblichkeit vom Standpunkte der Anthropologie. — Leipzig: Verlag von Otto Wigand, 1866. — 294 S. (Ludwig Feuerbachs Samtliche Werke. Bd. 10).
  • Goethe, Johann Wolfgang von. Goethes Werke: Vollstдndige Ausgabe letzter Hand. — Stuttgart, 1827-1842. — 60 Bd. + Register. Bd. 8. — 1828. — 4, 315 S.
  • Graetz. Geschichte der Juden von den дltesten Zeiten bis auf die Gegenwart. Leipzig, 1893-1895 in S. 1-8 Lfg. (IV Bd.) S. 483 + IX, 9-21 Lag. (III). S. 364 + VII + 369-857.
  • Jaeger, Oscar. Gechichte der neueren Zeit, 1517-1789. — Bielefeld, Leipzig, Velhagen,   1894.  VII, 652 S.
  • Jaeger. Weltgeschichte in vier Вaenden. Bd.3).
  • Lassalle, Ferdinand. Reden und Schriften. — Berlin: Verlag der Expedition des «Vorwaerts» Berliner Volksblatt, Bd.l. — 1892. — 550 S. Bd.2. – 1893. — 960 S.
  • Marx, Karl. Die Klassenkaempfe in Frankreich 1848 bis 1850 Mit Einleitung von Friedrich Engels.— Berlin, 1895.— 112 S.
  • Mehring, Franz. Briefe von Ferdinand Lassalle an Karl Marx und Friedrich Engels. 1849 bis 1862. — Stuttgart: Verlag von J.H.W. Dietz Nachf., 1902. — 368 S.
  • Nietzsche, Friedrich. Der Fall Wagner. — Lpz., Naumann, 1895. — VI, 378, XI S.
  • Platten, August von. Gesammelte Werke in fuenf Banden. — Stuttgart
  • J.G.Cottaschen Verlag, 1853. Bd. 1. — 266 s. Bd. 2. — 355 s. Bd. 4. — 408 s.
Les livres en polonais
  • Armia rossyjska. Studyum militarne. Napil byly oficer sztabu wojsk austro-wejierskich Y.Z.X.Krakow, 1887. — 148 str.
  • Badeni, Jan. Ksiadz Stanislaw Choloniewski. — Krakow, 1888. — 380 str
  • Baranowski, Mieczyslaw. Historya szkor ludowych, stol., miasta Lworva, Lwow, 1895. — VIII + 404 + (1) str.
  • Wladysraw. Kronika potoczna i anekdotyczna z zycia Adama Mickiewicz. Na podstawie opisow wiarogodnych swiadkow zestawiona. Lwow, 1884. — XX + 262 str..
  • Befza, Wladyslaw. Poezye. Wydanie zupelne. Poznan, 1871. —   273 str. — (Biblioteka pisarzy pofckich. T. LXVIII).
  • Brodzinsky, Kazimierz. Mowa о narodowsci polakw I poslanie do braci wygnancow. Lwow, 1878. — 74 str. — (Biblioteka mrowki. T. 52).
  • Chodzko, Leonard. Hystorya domu Rawitow — Ostrowsl ich, zwigzana z dricjami Polski, Litwy, Prus i Rusi skladajgcych. Rzeczpospolitg polska, miedzy lanai, l J90-1650-1845. — Lwow, 1871. T. LXXXV. – 532 str.
  • Gadon, Libomir. Z rycia polako,. we Francyi. Rzut ofa na 50-letnie koleje Towarzystwa historyczno-literackiego w Paryzu 1832-1882. Prays, 1883. —   169 str.
  • Holubowicz, Jozef. Bulgaria, jej przeszlose dziejowa i je jobecne narodowe i religijne odrodzenie. — Krakow, 1885.—272 str.
  • Krasinski, Zygmunt. Utwory nie objgte Iwowskiem wydaniem. Zebra! i zyciorysem opatrzyf 3.T.Poznan, LXXIX + 80 str.
  • Lassale, Ferdynand. Po’sednie podatki i pofozente klas pracujgcych. Przefozur K.W. Lwow, 1878. — 111 str.
  • Limanowski, Boleslaw. Historya ruchu spofec-nego w XIX stuleciu. Lwow, 1890. —  498 str.
  • Mickiewicz,  Adam.  Korespondencja Adama  Mickiewicza. Widanie IL Pariz, 1871-1872. Tom I. VII + 363 str. Tom IL VI + 292 str.
  • Syrokomla, WladysTaw. Urodzony Jan Dgborog. Dzicje jego zodu, glowy i serea, przez niego samego opowiadane. Zroczow, 88 str. (Biblioteka powszechna, N 73).
  • Szujski, Josef. Dwor krolewicza Wladysrava. Komedya historyczna w 3-ch aktach. Krakow, 1876. —  45 str.
  • Tarnowski, Stanislaw. Henryk Rzewuski. Z oderytow publicznych. Lwow, 1887. — 97 str.
Les livres en français
  • Bakounine, Michel. Correspondance de Michel Bakounine. Lettres à Herzen et à Ogareff (1860-1874). Publ. avec préf. et annotations par Michel Dragomanov. Trad. de Marie Stromberg. — Paris: Pcrrin [Perrin?], 1896. — 383 p.
  • Balzac, Honoré.La Cousine Bette — Bruxelles-Livorne, Meline, Cans et со. Lpz., Meline, 1847. 3 vol. V.l. — 247 p. V.2. – 251 p. V.3. — 291 p.
  • Blanc, Louis. Histoire de la révolution de 1848. T. 1-2. — Paris: Lacroix, Verboeckhovcn, 1870. T.l. —   XI, 321 p. T.2. — 360 p.
  • Dayot, Armand M. La Révolution Française. — Paris: Flammarion, s.a. — 189-. — 495 p. рр. 185, 188, 297-298, 319-320.
  • Flaubert, Gustave. La Tentation de Saint-Antoine. — Londres: Dent; Paris: Grиs, 1848. — XIII. 222 p., front, portr. (Collection Gallia).
  • France, Anatole.  Les Opinions de M.Jérôme Coignard. —Paris: Calmann-Lévy, 1893. — 288 p.
  • France, Anatole. La Rôtisserie de la reine Pédauque. — Paris: Calmann-Lévy, s.a. — 388 p.
  • Hugo, Victor. Les Misérables. T.1-10. — Bruxelles: Lacroix, 1862. — V.10. (T. VII — 490 p.; T. VIII — 464 p.).
  • Hugo, Victor. Napoléon le Petit. 6ème éd. — Londres: Jeff, 1852. — 464 p.
  • Kropotkine, Pierre. L’Anarchie. Sa philosophie, son idéal. -Pans [Paris?]: Stock, 1896. — 59 p. (B-que sociologique, N 9).
  • Kropotkine, Pierre. La Conquête du pain / Préf. par Elisée Reclus. – Pans [Paris?], Stock, 1904. – 299 p.
  • Kropotkine, Pierre. La Grande Révolution. 1789-1793. — Paris, Stock, 1909. — VII, 749 p.: (B-que historique. N 3).
  • Michel, Louise. Le Claque-dents. / 4ème éd. — P.: Dentu, s.a. — 319 p.
  • Renan, Ernest. L’Avenir de la science. Pensées de 1848. — 2nde édition. — Paris, 1890. — XX + 541 p.
  • Renan, Ernest. Histoire du peuple d’Israël. — Paris, 1891.. — VIL – 527 p.
  • Sand, George. Mauprat. T. 1-2. — Paris, 1837. — 2 vol. (Oeuvres de George Sand, 1-2) 1. 344 p., front, portr. 2. 407 p.
  • Tolstoi, comte Léon. Le Salut est en vous. Ed. originale. — Paris: Perrin, 1893. — 389 p.
  • Waliszewski K. Autour d’un Trône Catherine II de Russie. — Paris, 1894. — VII + 472 p.
  • Waliszewski K. La Dernière des Romanov Elisabeth 1ère impératrice de Russie 1741-1762. — Paris: Plon-Vourrit, 1902. – 552 p.
  • Waliszewski K. Le Roman d’une impératrice. Catherine II de Russie d’après ses mémoires, sa correspondance et les documents inédits des archives d’état. — Paris, 1893. – XI et 618 p.
  • Zola, Émile. Nana. — Paris: Charpentier, 1880. — 524 p.
  • Zola, Émile. Paris. — Paris: Charpentier-Fasquelle, 1898. — 608 p

[1]  Voir Alexandre Etkind dans son article «Foucault et la Russie impériale: les pratiques disciplinaires dans les conditions d’une colonisation intérieure» (dans ETKIND, Alexandre. Michel Foucault et la Russie, Saint-Pétersbourg, Moscou, 2001, p.166-167.) écrit notamment: À la fin du XVIII et au début du XIXe siècles, l’Empire russe a connu la même transition d’un système de droit personnel et d’exécutions publiques à un système de droit formel et de contrainte disciplinaire comme dans les autres monarchies européennes. Les nouveaux codes ont été rédigés d’après les innovations du modèle juridique autrichien, prusse voire anglais. La discipline imposée au corps du soldat a été obtenue à Pétersbourg en ayant recours aux mêmes méthodes qu’à Paris et à Berlin. Le servage a été aboli avant l’abolition de l’esclavage aux États-Unis. En outre, cette abolition du servage a connue une traduction juridique que n’a pas connue en revanche l’abolition américaine. Sur certains points capitaux tels que l’abolition de la peine de mort, la reconnaissance faite aux femmes de jouir des droits de propriété ou l’initiative d’une Europe unie, la Russie a devancé ses partenaires européens. En même temps, la triste expérience de la monarchie russe fait montre du caractère infondé de l’idéalisation du droit royal, ce qui était évident pour Foucault. Les tsars russes auraient plutôt été d’accord avec Carl Schmitt en ce que la souveraineté n’est pas fondée sur le respect quotidien de la loi, mais sur ses entorses extraordinaires. En marge d’une législation toute théorique, de façon certes «extraordinaire» mais toutefois très régulièrement, l’on constate en pratique de graves entorses à la loi par le recours à la contrainte et à la violence. Elles se sont développées dans leur version disciplinaire, fondée apparemment sur une participation volontaire des  deux parties. Ce sont justement ces passages et les «plis», ou les entorses qui les accompagnent – il s’agit de phénomènes paradoxaux si l’on s’en tient à la logique, mais qui s’inscrivent conformément à une régularité historique -, qui ont intéressé Foucault.  Grâce à ces concepts à clés comme celui de discipline, Foucault a ouvert la voie à l’analyse de phénomènes non pas seulement différents, mais se trouvant aux antipodes, s’opposant politiquement. Si cette stratégie rhétorique était si importante pour l’auteur, qui anticipait sur le mauvais emploi de ses idées dans les débats historiques, elle en est parue d’autant moins accessible pour ses simples lecteurs. La lecture populaire de Foucault interprète ses catégories analytiques comme s’il s’agissait de phases linéaires et va jusqu’à les transformer en mesures d’estimations, qui servent à mettre des notes aux culture (sous) développées ou qui leur (dé)plaisent. À la place de l’histoire, cela donne un schéma à trois niveaux: la monarchie absolue, l’État policier, la démocratie libérale. Ce schéma est cher aux juristes progressistes du milieu ou de la fin du XIXe siècle. Déjà Tocqueville dans sa polémique avec Guizot s’était opposé à de telles simplifications. Appliquée à la Russie, la réduction positiviste en vient à la conclusion que l’empire russe et, à sa suite, l’État soviétique, n’ont pas donné lieu à des sociétés libérales parce qu’elles n’ont pas passé l’étape du modèle coercitif au modèle disciplinaire.

[2]  CHPET, G. Ibid, p.229. (à préciser)

[3]  Voir EVREINOV, N. L’histoire des châtiments corporels en Russie, Saint-Pétersbourg, 1913.

[4]  L’Histoire de la prison sous le tsar, T. 1, Moscou, 1960.

[5]  Voir FOUCAULT, Michel. La Volonté de  savoir. Histoire de la sexualité, Tome 1, Moscou, 1996, p.194-204.

[6]  Voir KOTOVITCH, A. La Censure cléricale en Russie, 1799-1855, Saint-Pétersbourg, 1909, p. 39-40.

[7]  Voilà les termes dans lesquels la censure permettait la publication des œuvres: 1. Le livre appartient à une autre époque 2. L’amoindrissement de son contenu idéologique 3. Sa référence à un classique (Boccace), en reconnaissant que l’œuvre participait aux variations que la société occidentale a connu (Heine) 4. Sa reconnaissance mondiale; et si son contenu diffère de celui de l’Ancien Testament, mais que l’idée est exprimée de manière strictement scientifique, l’oeuvre n’affecte et ne contredit pas alors l’Ancien Testament (le cas de l’œuvre de Darwin) c’est-à-dire que la censure s’appuie sur l’argument selon lequel il faut distinguer des vérités, qu’il faut les concevoir séparément. 5. Non autorisées pour le public, mais pas interdites non plus absolument, les correspondances de Catherine II avec la préface de Herzen 6. Les mémoires du décabriste Rosen afin de montrer comment les décabristes ont mal compris l’intérêt public et l’amour de la patrie,  ce qui démontrait l’inconsistance politique de leur doctrine formée sur le modèle occidental et ne pouvant correspondre au mode de vie familial russe. 7 Le livre de A.T. Grimm, qui malgré son hostilité envers la Russie, a été autorisé en vertu du fait que Grimm a été l’éducateur des enfants de Nicolas 1er et donc du futur Alexandre 2.Voir TCHIRKOVA, T.V. La censure des écrits de la période du féodalisme au capitalisme, Moscou, 2002, p. 31-35.

[8]  Dans sa lettre à Aksakov de 65, il écrit : « Toute ingérence du pouvoir dans la pensée ne permet pas de vaincre les doctrines contraires à la vérité mais rallonge la corde, dès qu’elles se trouvent frappées par le pouvoir, elles changent en quelque sorte d’essence et, au lieu de leur contenu spécifique, elles acquièrent le poids, la force et la dignité des pensées persécutées ».  Cité dans TCHIRKOVA, T.V. Ibid, p. 50.

[9]  Les livres étaient interdits de publications par Tioutchev s’il s’agissait :

  • d’œuvres philosophiques réfutant par des arguments rationnels et matérialistes l’existence de Dieu, la liberté de la volonté, l’immortalité de l’âme (étaient concernés en particulier des livres écrits en allemand)
  • d’œuvres religieuses dont l’orientation était polémique: contre la Bible, la personnalité du sauveur, les fondements de la foi chrétienne et les dogmes de l’orthodoxie (étaient incriminés notamment les livres en langue française de Renan et de Strauss)
  • d’œuvres politiques en allemand, en français et en polonais contenant un appel au peuple polonais.
  • de travaux historiques sur le thème de Paul 1er et Nicolas 1er.
  • d’œuvres pamphlétaires, œuvres dont le contenu est érotique, œuvres dont les allusions apparaissent indécentes à l’adresse de Napoléon 3. TCHIRKOVA, T.V. Ibid, p. 36-37.

[10]  Ensuite des citations dans DJANCHIEV, p. 449-451. (à préciser)

[11]  FOÏNITSKI (à préciser) a comparé la situation de la presse après qu’elle a été soumise à une direction policière avec la situation des « paysans ayant des obligations provisoires ».

[12]  Cité dans TCHIRKOVA, Т.V. p. 61.

[13]  Tioutchev écrit que « Ce pouvoir qui ne reconnaît et ne permet aucun autre pouvoir que le sien, ce droit provient d’une force matérielle du même pouvoir et […] cette force est légalisée à ses yeux par la certitude qu’elle domine les « lumières » (prosveshchënnost’) qui sont toutes discutables». Cité dans KOJINOV V. Tioutchev, Moscou, 1994, p. 437.

[14]  Cité par TCHIRKOVA, p. 58.

[15]  FOUCAULT, Michel. La Volonté de savoir. Histoire de la sexualité. Tome 1. Moscou, 1996, p.194-204.

[16]  Malgré son aspect conventionnel et contradictoire qu’a été mis en évidence par CHPET. (à préciser)

[17]  Voir CHPET, G. Ibid, p. 272.

[18]  Voir PODOROGA, V. Mimesis, Tom.1, Moscou, 2006, p.449 et suivantes.